Francesca Woodman

Francesca Woodman

Le portrait onirique de Francesca Woodman

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Se défenestrer. Quel verbe étrange. Fuir, ultime solution pour trouver le bonheur. Se jeter d’une fenêtre, s’écraser au sol. Francesca Woodman m’emporte dans son mouvement, me soulève, m’intègre, m’impressionne. Nous sommes dans un cauchemar en noir et blanc, dans la boîte noire qui nous enferme, un petit trou, grandeur d’une aiguille, laisse passer de la lumière. Les images sont inversées, floues, comme nos cœurs. Elle me dit lentement, saccadé, elle épèle presque : j e   n e   s a i s   p a s   o ù   n o u s   s o m m e s et en réalité moi non plus. L’ambiance des pires cauchemars. Des bruits, une musique contemporaine, des voix qui soufflent, les images qui parlent, toutes les pièces sont nues, vides et vivantes. New York sans doute. Je sens bien que tout est définitivement fermé, les énergies s’étiolent, des visages sombres s’effacent sur le papier peint avec le tigre doré, fallait-il se défenestrer ? Ouvrir la fenêtre n’était-ce pas suffisant ? Plus d’oiseaux dans le ciel, plus de lumière dans le ciel, plus de nuages dans le ciel, plus de ciel. Elle n’est pas sérieuse. La bouche cousue, Francesca Woodman se transforme en chauve-souris, et rit. Le bâtiment est vide. Les étages sont fermés. Les appartements emmurés. Il n’y avait que cette petite pièce ouverte au monde. C’est ce que je pensais. Mais toutes les pièces étaient vides, des impasses, la mort. Un sifflement sournois. Des appareils auditifs volent, synchronisés par nos peurs. Il n’y a plus de limite, le corps épuisé, je rêve de dormir, dormir, et je me dis que je rêve donc je dors. Elle prend des photos, à chaque déclic, une chauve-souris sort de l’objectif, d’un appareil argentique, une proie aux preuves, elle avale tout, s’empiffre d’espace et d’impasses. Pourquoi je me raconte tout cela au présent et à l’imparfait ? Suis-je déjà mort ? 

Une anguille siffle et ondule hors du mince rayon de lumière, mon corps est-il vraiment plié ? Son corps lisse et luisant semble exsudé de ce minuscule interstice, gluant sur le plancher froid. L’anguille s'enroule, se déroule, dans une danse hypnotique, son regard de verre fixé sur moi. Francesca Woodman ricane, son rire nasillard cognant aux murs nus. La chauve-souris battant d'ailes frénétiques autour de son visage spectral. Nous ne sommes nulle part et partout à la fois , murmure-t-elle. Le rêve est la seule réalité, tout le reste n'est qu'illusion. L'anguille rampe jusqu'à mes pieds, grimpe le long de ma jambe dans un spasme visqueux. Un haut-le-cœur me soulève l'estomac alors qu'elle s'insinue sous mon vêtement, froide et aveugle. Glissant, vrillant, étouffant mes chairs de ses anneaux interminables. Je suffoque, le noir envahissant ma vision… La photographe est debout, derrière un projecteur de diapositives, déposé sur une table, elle projette ses images vers le ciel, blessée d’avance, perdue d’avance, tout se succède, va plus vite, vitesse frénétique, ne faisant plus qu’une image, celle de son âme. D’autres anguilles sortent du projecteur, attirées par la lumière, par le reflet de la lumière sur les bouteilles en cristal. Le battement des ailes des chauves-souris ralentit, des bouteilles tombent et éclatent, la musique perce nos tympans, les anguilles mordent nos bras dénudés. Je glisse sur le carrelage gluant de la cuisine, elle prend des photos d’elle, encore et encore. D’elle, encore et encore et encore. Je rampe jusqu’à la fenêtre où je découvre le monde sans vie. Elle se redresse lentement, ses yeux caves rivés aux miens. De longues rayures rouges zèbrent ses bras, ses jambes dénudées. D'un geste théâtral, elle arrache les fils cousant ses lèvres dans un craquement de chair. Un filet de sang perle au coin de sa bouche quand elle sourit, d'un air à la fois émerveillé et horrifié : nous allons vivre enfin.    

Je me réveille en sursaut, trempé de sueur froide. Le jour poind à peine à la fenêtre grande ouverte, laissant entrer les cris des mouettes et le bruissement de la ville. Était-ce un rêve dans un rêve ? La frontière du cauchemar et de la veille s'est effilochée. Je porte la main à mon flanc, m'attendant presque à sentir les replis gluants des anguilles reptiliennes. Mais il n'y a rien... que le silence hagard de l'aube. Que des images belles et monotones d’une beauté sans excès. J’ai eu envie de lui parler mais c’était trop tard. Il ne me reste que cette rencontre onirique, que cette mémoire pour lui dire combien elle me fascine. 


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Bio

Francesca Woodman (1958-1981) était une photographe américaine connue pour ses photographies en noir et blanc mettant en scène son propre corps. Née à Denver dans une famille d'artistes, elle commence la photographie dès l'adolescence lors de ses études à l'université du Colorado.

En 1975, elle intègre la prestigieuse Rhode Island School of Design où elle se consacre entièrement à la photographie. Ses autoportraits énigmatiques, souvent flous et surexposés, dans des décors délabrés ou des intérieurs bourgeois, explorent les thèmes du corps, de l'identité et de la féminité avec une approche poétique, conceptuelle et féministe novatrice pour l'époque. Ses œuvres remettaient en cause les représentations traditionnelles du corps féminin.

Malgré un parcours prometteur, Francesca Woodman met tragiquement fin à ses jours à l'âge de 22 ans en 1981. Son œuvre, composée d'environ 800 négatifs, n'a été reconnue qu'à titre posthume lors d'expositions dans les années 1980. Aujourd'hui considérée comme une figure majeure de la photographie contemporaine féministe, son travail a influencé de nombreux artistes.

Précisions d’usage 
Ce portrait est un portrait onirique basé sur un rêve, et donc, ce n’est qu’un portrait onirique et imaginé. Par conséquent, l’histoire qu’il raconte n’est pas une histoire vraie. Erreurs de syntaxe, d'orthographe ou coquilles... faites-nous part de vos remarques à mapuetos@mapuetos.com

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