Guénaël Borg

Guénaël Borg

Le portrait onirique de Guénaël Borg

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Des pas lourds, des claquements de doigts, des sons sourds et des échos perdus, des gens nus sautent à la corde, corps mous d'hommes, de femmes et d'enfants, tout le monde saute à la corde les yeux bandés, moi aussi, nous sommes des millions à sauter à la corde au pied du stratovolcan Licancabur, au Chili, à deux pas de la Bolivie. Le claquement de la corde sur la roche, le bruit sec ressemble à celui d'un revolver lorsqu'on appuie sur la gachette. On entend des gémissements, il fait chaud, quelques hommes trébuchent et agonisent. Je me dis qu'il ne s'agit peut-être que d'un funeste cauchemar. Les femmes et les enfants résistent. Le Licancabur est majestueux. La lumière lui rend grâce. Un jeune homme se répète à voix basse à chaque saut de corde : je suis l'homme de ma vie, je suis l'homme de ma vie,... comme pour se convaincre, je constate que tout le monde répète des phrases apocalyptiques, ils oublient la force et la tendresse. Je m'écroule à mon tour. J'agonise. Tout est flou, ma voix disparaît, mon corps se transforme en pierre, un chien s'approche de moi, me pisse dessus en disant : tu ne mérites pas mieux, les poètes ne méritent pas mieux.

Je me réveille, je m'étais endormi dans un hamac blanc proche d'une vieille maison de campagne dans le sud de la France. Je pense à ce rêve impressionnant, angoissant, je n'ai jamais été en Bolivie, jamais vu le Licancabur , je ne saute plus à la corde depuis belle lurette. Avant de m'endormir, j'avais accroché le hamac entre deux arbres perdus au bout d'un chemin sans issue. Je suis surpris de voir devant la vieille maison - que je croyais inhabitée - un groupe d'une dizaine d'hommes, de la tribu Maasaï de Tanzanie. Hommes qui n'ont aucune prison mentale. Ne vivent que l'instant présent. Caressent le bras de l'interlocuteur pour lui annoncer une mauvaise nouvelle. Hommes au sourire éternel, que faites-vous si loin de chez vous ?

Face à nous la mer, ce quart de Grèce, Guénaël Borg me dit : lorsque je vous ai vu dans le hamac blanc, j'ai cru que vous étiez l'instigateur de cette attaque de Maasaï. Je pouffe de rire. Ils m'observaient avec un regard tellement dur, j'ai vraiment cru qu'ils voulaient s'en prendre à moi. Je sentais la peur me prendre et en même temps la fascination. Je revois encore la scène : il est sorti de la maison et ils l'ont poursuivi. Je lui dis : monsieur Borg, vous auriez pu tout simplement ne pas sortir de la maison, les Maasaï n'entrent pas dans les demeures. Il me répond qu'il y avait pensé mais qu'il appréciait cette course-poursuite autour de la maison et qu'il pouvait certes entrer, se sentir protégé par ses parents mais ce qui le fascinait c'était de courir et de se retourner de temps en temps et de les regarder à la dérobée. Je lui dis : vous n'étiez qu'un enfant. Je me souviens que vous m'aviez dit que vous trouviez ces hommes très beaux et effrayants en même temps. Il me répond par une citation de Carl Rogers : les choses que nous imaginons être les plus personnelles sont les plus partagées. Que sommes-nous venir faire ici, Patrick Lowie ? Que signifie tous ces rêves que vous me racontez, à quoi jouez-vous ? Je lui réponds : vous n'aimez pas cette odyssée en mer Égée ? Dans quelques heures nous serons à Patmos. J'aimerais y écrire un livre prophétique, moi aussi et vous montrer quelques icônes byzantines. Nous arrivons à Patmos, nous étions seuls à bord, et l'île est déserte. Nous nous sentons tellement loin de tout qu'une extrême douceur envahi mon corps. Les tensions s'apaisent. Le brouhaha inutile du monde insipide a été aspiré par la beauté des lieux. Je dis à Guénaël Borg : les Maasaï sont partout, toutes les nuits, ils envahissent nos nuits pour nous empêcher de sombrer dans la routine d'une protection stérile. Le claquement des cordes est pour vous rappeler que nous vivons aussi en communauté et que quoi que vous fassiez, le monde extérieur vous sculpte. À l'improviste et en pleine journée, le soleil plonge dans l'Égée. L'obscurité est fatale. On n'entend plus que l'eau de la mer qui d'un coup se tait, elle aussi, comme une douleur qui disparaît. J'entends quelqu'un nous dire : et maintenant ? J'avais envie de répondre : et maintenant rien ! Juste vivre le temps présent. Mais je n'ai rien dit. J'ai même cessé de penser, pour le bien de l'Humanité.


Publications & anecdotes

Ce portrait a été publié dans le livre Le totem d'Imyriacht (2023) aux éditions maelstrÖm.

Cliquez sur la couverture du livre pour plus d'informations.


Bio

Né en 1973 à Nice. Un quart Grec, un quart Maltais, un quart Polonais, un quart Allemand, il a très tôt reconnu en lui l'ADN de l'ailleurs. Passionné par l'humain, il a toujours cherché à engloutir le monde et à être englouti par lui. Par la culture, puis par la psychothérapie. De la France au Maroc. Par ses amours, par ses enfants. Par tout ce qui l'a émerveillé et par tout ce qui l'a terrifié. Un être lambda, plein d'amour et de haine pour le monde.

Précisions d’usage 
Ce portrait est un portrait onirique basé sur un rêve, et donc, ce n’est qu’un portrait onirique et imaginé. Par conséquent, l’histoire qu’il raconte n’est pas une histoire vraie. Erreurs de syntaxe, d'orthographe ou coquilles... faites-nous part de vos remarques à mapuetos@mapuetos.com

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