Ces journées iréelles
où tu vas déjeuner avec des amis, puis tu entres chez un
concessionnaire de voitures Ferrari et tu demandes le prix
de la rouge en vitrine mais juste avant d'entrer un pigeon
te vise de sa fiente et il te rate de quelques centimètres,
tu ressors dépité non par le prix mais de savoir que ce sont
des occasions (quelle idée d'acheter une Ferrari en
occasion, bande de loosers !), tu vas miser quelques
billets sur ton club préféré, puis tu te demandes quand
as-tu bu du
chocolat au lit
? Plus tard, tu
traverses une route très fréquentée, bien droit dans les
passages piétons. Le feu est vert pour toi, le décompte au
milieu de la chaussée est à 15, il te reste donc 15 secondes
pour arriver jusqu'au trottoir. Une grosse voiture, dépasse
tout le monde et te renverse. Une deuxième voiture dans
l'autre sens, pressée apparemment, double toutes les autres
voitures et t'écrase une deuxième fois (ce n'était pourtant
pas nécessaire). Tu perds connaissance pendant quelques
secondes. L'heure rouge. Durant ces secondes-là, tu ne vois
pas la mort, ni un résumé de ta vie au ralenti, rien. Tu ne
vois rien. Tu entends des cris, des ambulances, mais
personne ne te prends en charge. Invisible. En te levant, tu
te rends compte que tu es vivant et que les automobilistes
imprudents sont tous morts. Vengeance onirique ?
J'attends que le feu soit à
nouveau à 15 pour reprendre ma traversée. J'avance sans me
retourner, laissant les corps sans vie sur le bitume.
J'arrive au bord de mer. Je marche dans le sable pour
rejoindre le repère des sorcières. Le soleil se couche, mes
yeux deviennent oranges. À l'entrée de la grotte, une
vieille dame me dit bonjour
puis que Dieu te
protège
avec un sourire d'envie. Elle sait qui je
suis, aimerait me le dire, mais je marche trop vite. Je
m'assieds au coeur de la grotte bien nommée : un
monde sans fin
. Assis, les jambes croisées, je lève
les yeux, mes ailes poussent enfin et je vole avec la
facilité des initiés. Avant de rejoindre le fils de la mer
qui doit, lui aussi, se faire pousser des ailes, je survole
la ville puis me pose sur le bord d'une fenêtre en forme de
citron. La rue est calme, c'est l'heure bleue. L'heure
peinte par Magritte. L’ambiance au dehors est calme, une
femme marche. Je la reconnais : c'est Gwénnaëlle La
Rosa. Je l'entends penser : je ne crois pas avoir
déjà mis les pieds ici pourtant ce n'est pas la première
fois que je vois ces façades. Ce décor ne m’est pas
totalement étranger…
Des trottoirs et des palissades
donnant sur des jardins. Des lampadaires timides et
chaleureux. Le silence et le calme en fond. Elle continue à
penser : la nuit m’angoisse en général, j’ai peur de
la sensation que j’éprouve, comme si j’étais en danger
mais là, rien, l’angoisse est présente et au moindre
bruit, elle me fait m’arrêter et tendre l’oreille…mais
rien.
Personne aux alentours ni à droite ni à gauche,
elle ne m'a pas vu. Elle arrive au bout de la rue, c’est une
voie sans issue arrondie, décorée d’arbres et de lampadaires
et de palissades, le tout dans une pénombre bleue…Et là,
elle regarde en l’air et se dit : j’ai comme une
montée d’adrénaline, une idée…Et si j’allais voir plus
haut, en haut, de haut ? Juste pousser sur les
jambes…
Elle y arrive. Et l’exercice d’un moment sera
d’essayer de rester en l’air, d’apprendre à voler, les
sensations sont folles, fortes, excitantes …. et quand enfin
elle y parvient, elle fait un tour en regardant le quartier,
elle ne me voit pas, puis va vers l’horizon … partie.
Peu de temps après,
quelqu'un tapote sur mon épaule : alors, Patrick
Lowie, on m'espionne ?
Je tombe et m'écrase au
sol. Je me réveille, l'ambulancier me dit que je n'ai rien.
Pas même une ecchymose. Pas un bleu. Que je suis un
miraculé. Derrière lui, la vieille dame du monde sans
fin
me fait un clin d’œil. Je vais enfin pouvoir
imposer une décision.