Les rêves me blessent le corps , me dit Jean-Louis Murat. C’est tout ? On pourrait s’arrêter ici. C’est suffisant. Dans le rêve, nous sommes à Murat-le-Caire… Murat-le-Quaire, me reprend Jean-Louis Murat… vous avez vu comment vous l’avez écrit Patrick Lowie ? Je pensais vraiment qu’avec vous nous aurions pu discuter ensemble de Heidegger et de Baudelaire, mais vous êtes incapable d’écrire Murat-le-Quaire…vous me décevez… ça doit correspondre à vos influences arabes… mais on est en Auvergne ici mon cher, en France ! En le racontant ainsi, on pourrait croire que le rêve était drôle et décontracté, pas du tout. La tension était imposante, ses gestes violents, son regard méprisant. Je sais, je sais, je ne suis pas venu chercher mon prix Gros Sel diamant à Bruxelles, c’est pour ça que vous m’engueulez depuis ce matin ? Vous êtes chez moi ici, le petit Belge, rentrez en Belgique manger vos frites… ah lalala ces Belges, je vous jure. Venez, je vais vous servir un petit coup… ou alors, attendez, on est le 15 août, l’eau de la fontaine se transforme en vin à la mairie de Murat-le-Quaire… ça ne risque pas d’arriver à votre manneken-pis… le rêve se transforme en cauchemar, j’entends la danse arabe de Tchaïkovski, j’ai envie de marcher, la Dordogne, je me dis que l’eau ne doit pas se transformer en vin mais en divin, je marche plus vite que lui, je l’abandonne, le mépris me ronge, me tue, je sais qu’il a un bon fond et qu’on s’apprécie, mais j’en ai marre de sa bougonnerie. Il me rattrape, me fait un large sourire et je lui dis : vous avez toujours la mine de mauvaise humeur, vous bougonnez les gens qui entrent chez vous, vous êtes plus disposé à chercher querelle qu'à servir un plat …. il me répond : mon grand-père était violent, bagarreur, saoul comme un cochon tous les jours à partir de 15 heures. Être élevé comme ça, c'est quand même un peu spécial… on marche, il me prend par le bras et me dit : je m’excuse, observez la nature par ici comme elle est belle… Des monstres apparaissent de partout, il ne semble pas les voir. Regardez la Bourboule, elle est magnifique ! Il me parle plus bas encore : je vous charriais, en occitan on écrit : Murat e lo Caire.
Je me promène les yeux fermés, je ne l’écoute plus, j’autorise mes intuitions à guider mes pas, ma vie, mes regrets. En ouvrant les yeux, je découvre que le chanteur a disparu et que la nuit s’accroche au rêve, comme une vieille tenture noire qui a déjà recouverte plusieurs morts au village. Un homme s’approche de moi, une peau de bête sur le dos. Il me parle d’histoires anciennes, de légendes qui m’effraient un peu. C’est la pleine lune, je le vois dévaler de la montagne bleue à quatre pattes. Dans l’obscurité, une voix de femme me dit : faites attention, il va tremper son corps bestial dans sept fontaines sacrées avant l’aurore, puis reviendra vers vous pour vous offrir sa malédiction…il expie ses fautes. Très vite, j’entends un animal sortir d’un buisson qui me saute sur le dos. La voix de femme me dit : trop tard ! À l’aube, vous deviendrez mi-homme mi-animal. La transformation pour moi est immédiate, j’ai l’impression d’être atteint de lycanthropie, épilepsie, signe de possession,... je perds pied, je deviens fou. Que me reste-t-il d’humain ? À mesure que le soleil se lève, je sens mon humanité s'échapper. Mes membres se couvrent d'une épaisse toison, mes ongles se transforment en griffes acérées. Un museau allongé remplace mon visage tandis que des crocs luisants percent mes gencives. Chaque fibre de mon être subit une abominable mutation. Seul un fragment de conscience humaine persiste, me suppliant de résister à cette malédiction bestiale. Pris au piège. Deux hommes, fusils à la main, visent dans ma direction. J’entends la voix de Jean-Louis Murat : attrapez-le ! Tuez-le ! Je ne veux pas d'histoire ici ! Sa voix, je me souviens de tous ses concerts, extraordinaires sensations, un mythe vivant, les vibrations des mots, tout me revient.
Je me réveille à l’hôpital. Jean-Louis Murat est assis dans un fauteuil, il lit mes livres, il me dit : j’aime cette histoire de Mapuetos. Ça donne un sens à nos vies. Parce que quand la tristesse devient la passion dominante, quand elle règne sur tous les idéaux, c’est un signe avancé de décomposition de la société. Que reste-il quand il n’y a rien de plus fort que la tristesse ? Quand il n’y a plus rien de plus grand que soi auquel adhérer ? Je ne suis pas un paysan, ni un Américain. Je ne suis pas un bluesman, pas un littérateur, pas un intellectuel. Je ne suis à peu près rien ou du moins, pas grand chose. Je ne suis que ce que mes mains font. Une fois que l’on a compris ça, on peut être serein : on sait que l’on n’a prise sur rien, que tout nous échappe. C’est bon, vous avez fourgué la malédiction à un vieux fou. Tout va bien. Je vais vous aider à trouver Mapuetos. Promesse. Ce qui est sûr c’est que le Puy de Sancy et son massif, ce n’est pas Mapuetos. Pas d’Imyriacht dans le coin. Voilà, le rêve se termine, vous pouvez vous réveiller maintenant.
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sc lowie ie - Yenaky
Chaussée d'Alsemberg 264
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