Olivier Roller est photographe. Portraitiste. Comme moi. Ce qu’il
fait avec l’image, je le fais avec les mots. La différence est que je n’ai
pas besoin de faire poser mes personnalités. Elles sont là, au bout
de mes rêves. Et au cœur de celui-ci, cela ne m’étonne pas vraiment
qu’Olivier Roller me donne rendez-vous en pleine nuit au lac de
Gennésareth, en Syrie. La lune est quasiment pleine et elle éclaire
mes pas. Il m’avait prévenu qu’il ne faisait pas de rêves en dormant
ou qu’en tous les cas il ne s’en souvenait pas. Je l’observe, il est sur
l’eau, il flotte. C’est agréable
, me dit-il. Je peux regarder à la fois le ciel
et l’eau qui ondule. C’est beau, de cette beauté avenante, une beauté
nouvelle. Je suis détendu, ma respiration est régulière. Voilà, je vous
avais expliqué Patrick Lowie que je faisais des rêves éveillé, le voici.
Je voulais que vous en soyez témoin. Venez, nous allons marcher sur
l’eau.
Me voilà donc en équilibre entre étonnement et peur, entre
cette paix apparente et les grondements humains au loin, entre le
liquide et l’air, des morceaux de savon flottaient à la surface et la
lumière de la lune créait une installation digne des grands musées. Il
est magique votre portrait de Jeanne Moreau, et celui de François
Hollande exprime en un cliché tout son quinquennat,
lui dis-je. Il me
répond avec cette même intensité de la voix : vous savez, toute cette
histoire de ce rêve n’est finalement qu’un théologoumène, à savoir une
affirmation théologique présentée comme un fait.
Je ne voyais rien de
théologique dans sa démarche. Cher lecteur, autant vous dire que je
me sentais un peu largué. Et je n’ai pu m’empêcher de rapprocher la
barque pendant que nous étions là à marcher sur l’eau. Sachez que
s’il marchait sur l’eau, moi j’avais de l’eau jusqu’aux genoux. N’ayez
crainte, vous ne risquez rien. Vous avez remarqué la lumière de la
lune, elle ressemble à mon intuition d’artiste, je ne cherche pas une
lumière qui éclaire mais une lumière qui habille, qui sorte presque
de la peau de la personne plutôt que de se poser sur elle. Regardez
vos mains, la lumière sort de vos doigts.
Je comprends subitement le
regard mystique dans l’œuvre d’Olivier Roller, et lorsque dans ses
autoportraits qu’il prend en compagnie de ses modèles, il approche
la joue de celle de ses personnalités, c’est comme s’il partait à la
recherche d’une chaleur, la chaleur de la lumière. Vous savez,
lui
dis-je, que la peau est un excellent miroir pour comprendre ce que
nous avons imprimé dans notre subconscient ? Les visages que vous
avez figés évoquent toute la vie de ces hommes et de ces femmes :
séparations douloureuses, avec la mère, le père, dévalorisation de
soi, amertume, anxiété, peur de l’avenir, peur de la mort. tout est
magistralement écrit sur ce papier sensible.
Olivier Roller tente de
prendre la lune des bouts des doigts et me dit : Ne vous prenez pas
pour Jésus-Christ.
Olivier Roller est né à Strasbourg en 1971 et est photographe installé à Paris. Spécialisé dans le portrait photographique, il réalise depuis 2009 une fresque photographique sur les figures du pouvoir.