Il pensait être heureux sans vice
Il va falloir desserrer les boulons
Au chameau (plus efficace car la flamme est précise)
Et reprendre le doute comme
Une cheminée de Composteur
Il s’est dit : lève-tôt, lève-toi et cherche
Ou marche, oui mais où ? Où ?
Dans Le monde de Sophie,
Jostein Gaarder écrit que ce sont toujours ceux qui posent des questions qui sont les plus dangereux. Répondre, ce n’est pas si compromettant. Une seule question peut être plus explosive que mille réponses.
Je me dis que je pourrais m’excuser mais je ne suis qu’un homme, excuser mon honnêteté, mes désirs de beauté et mes nécessaires perfections, mais je ne suis qu’un homme. Asmae Yadine est dans son bureau, un aquarium en forme de cœur d’artichaut, elle devait impérativement terminer des dossiers, elle avait hâte de rejoindre son mari, tous ses collègues partis, elle ferme son aquarium à clé. Elle écrit des mails tout en regardant le film Kiss Kiss Bang Bang
sur son smartphone. Elle entend du bruit, comme si quelqu’un ouvrait et fermait les tiroirs d’un vieux meuble en aluminium rongé par l’humidité, elle sort de son aquarium, se dirige vers la dernière porte mais tout est silencieux, elle ouvre et ferme les tiroirs, le bruit est tellement strident qu’elle sort de sa poche une craie de couturière et frotte sur leurs glissières. Satisfaite, elle retourne dans son bureau. Une pénombre s’installe, et des ombres de branches d’arbres et de silhouettes étranges et fantaisistes se multiplient sur les murs. Elle se dit avec ironie : mais que signifie la faiblesse ?
Elle éteint tous les appareils, terminera le film à la maison, range ses affaires quand d’un coup, elle entend quelqu’un frapper à la porte de son aquarium, elle se retourne mais il n’y a personne. Elle baisse la tête et découvre un homme de petite taille, un nain, pas vraiment humain, qui semble parler le khuzdul
et qui, sous ses aspects malins et mystérieux, avait probablement des pouvoirs magiques mais pas forcément une grande sagesse, plutôt ivrogne. En tous les cas, Asmae Yadine ne le craint pas, elle lui ouvre la porte et dit : bonjour.
Le nain, costard noir et chemise blanche, fait plusieurs pas et s’assied dans le fauteuil généralement réservé aux clients puis se lance : je peux vous parler ? Cela ne vous dérange pas ?
Il regarde Asmae Yadine et répète fermement : écoutez-moi ! écoutez-moi ! c'est très important.
Elle se concentre sur ses grands yeux et l'écoute avec attention, comme hypnotisée. Il respire profondément puis : écoutez-moi, j'ai trois conseils très importants à vous donner : primo, vous avez des armes invisibles très dangereuses que vous pouvez utiliser à tout moment mais vous ne vous en rendez pas compte. Ensuite, vous connaissez des secrets sur des personnes et vous pourriez les utiliser contre eux, vous pourriez les détruire à tout moment, mais n’en faites rien, vous n’en ferez rien. Inutile, les énergies célestes sont avec vous. Troisièmement (en riant) car de toute façon, votre futur n'est pas ici, pas dans cette ville, pas dans ce pays.
Le nain s’évapore. Asmae range ses affaires comme si cette rencontre n’avait jamais existé.
Quand elle me raconta l’histoire quelques jours plus tard, à Meknès dans le magasin-grenier du KSAR EL MANSOUR, Asmae Yadine me dit : Patrick Lowie, c’était particulier, la tête du gnome était tellement grande que je me demandais comment est-ce qu’il faisait pour la tenir sur ses épaules, il avait de grands traits, ses yeux étaient énormes et ses cheveux étaient bruns. Il était très souriant et ça m’inspirait confiance. Je lui ai demandé ce qu’il voulait. Ses mains et ses pieds étaient minuscules comme ceux d’un enfant de six ans et il portait des chaussures rouges. Cela fait plusieurs jours que je me demande qui c’est et d’où il vient. Si je n’ai pas mal interprété ses mots. S’il était sincère ou si c’était un espion.
Je lui ai répondu bêtement : vous êtes sûre que ce n’était pas un djinn ?
Elle doit se marier à l’étage supérieure dans quelques minutes, mais elle me pressa à la rejoindre dans cet endroit chargé d’histoire et d’émotion. Habillée en rouge de princesse, le sourire stressé, mais heureuse, elle me dit : et s’il venait pendant la cérémonie ?
Étonné, je dis : qui ?
Elle s’énerve : mais vous le savez très bien : le nain, le djinn, le lutin, le farfadet, … je ne sais plus moi… il hante mes nuits et mes jours…
Je tente de la calmer, elle se calme, doucement je lui dis : mais votre nain adoré ne vous a rien dit de mal. Il vous a rappelé les règles du jeu et que vous étiez armée vous aussi, donc n’hésitez pas, voici un couteau si nécessaire. Et surtout, n’oubliez pas ces mots d’Haifaa Al-Mansour : « On peut imposer sa liberté même quand tout est proscrit ».
Calmée, elle m’observe et me dit : vous êtes la personne la plus étrange et la plus calme que je connaisse.
Je lui ai répondu que c’était normal, que j’étais Chamane. Votre route vers Mapuetos sera longue ma chère Asmae, et vous êtes merveilleusement accompagnée, du meilleur et du plus beau des princes nordiques. Vos beautés accumulées, vos intelligences imbriquées, feront de votre mariage un des plus remarqués de ce XVème siècle. Personne ne sait où est Mapuetos mais vous serez nos éclaireurs dans ce siècle bien sombre. Ce n’est pas un nain de jardin qui va vous effrayer ?
Elle se maquille légèrement, merveilleusement belle, elle regarde l’heure et me dit : il me reste sept minutes exactement avant la cérémonie. Merci beaucoup Patrick Lowie, votre aide fut incommensurable et je ne peux m’empêcher de vous dire une dernière chose : je ne vous ai jamais rien dit mais saviez-vous qu’ils ont comploté contre vous ?
Après quelques instants silencieux, je lui dis, le sourire aux lèvres : je le savais oui, vous ne m’apprenez rien. J’aurais aimé que vous me le disiez avant, mais ce n’est pas grave. Ils sont tous morts maintenant, enfin, presque…. Mais ne vous inquiétez pas, je m’en occupe. La merveilleuse Ouda est arrivée de Fès cet après-midi, spécialement pour vous ainsi que tous les Rois du Nord. Ils sont là pour vous. Ne vous préoccupez pas trop pour moi. Allez-y maintenant, si vous et votre illustre mari trouvez Mapuetos, vous serez célébrés dans le monde entier. N’oubliez pas de lui rappeler qu’il est un arbre désormais, immense, comme de ceux qu’il voyait, impressionné, dans sa jeunesse.
Elle quitte les lieux, émue. Je n’assiste pas à la cérémonie. J’entends ses pas s’éloigner, j’entends les applaudissements lors de son entrée en piste, la tendre cacophonie d’un moment inoubliable. Je me retourne, traverse une première pièce énorme et vide. Au loin, je vois le panier en osier. Je m’approche et je l’ouvre, j’y trouve l’avorton, bâillonné par mes soins, les mains et les pieds attachés. J’enlève l’écharpe rouge et il se met à parler, m’insulter, me conspuer. J’avais déjà préparé auparavant le seau rempli d’eau, de vinaigre et de bicarbonate de soude. Je prends sa tête énorme, les pieds dans le vide, je le plonge tout entier et sans scrupule, je le noie de mes propres mains. La cérémonie est à son comble, la musique vient d’envahir la ville, Meknès est sous le charme des mariés. Pas mécontent d’avoir fait la sale besogne, je sens en moi une légère crispation : travailler dans l’ombre n’offre aucune reconnaissance mais vivre sans complaisance ni compromission, n’est-ce pas la meilleure des vies ?