Il me voit, se
rapproche encore, ouvre la main et me dit :
Patrick
Lowie, j'ai trouvé ceci pour vous. Je les ai trouvé au
fond de l'océan : il y a une pierre qui représente la
longévité, une la santé, une autre l'amour et la quatrième
la richesse.
Je me retourne, effrayé par cette
rencontre, par ce qu'il avait dans la paume de la main,
comme s'il me connaissait déjà, je me retourne et il n'y a
plus de rivage, nous sommes sur une île de sable, la ville a
disparue, le pêcheur volatilisé. Je lui demande son nom, il
me répond :
Bilal Faris, je suis le fils de la mer.
Il garde son bras tendu, la main asséchée et ouverte
au-dessus d'une planche en bois, les quatre pierres en
offrande. Il regarde mes yeux et me dit :
c'est
bizarre, vos yeux sont tellement bleus, le même bleu du
ciel, comme si vous aviez le ciel dans vos yeux. Vous avez
le ciel dans vos yeux ? C'est beau des yeux bleus. Ce
sont des trous ?
Il s'approche puis met ses
doigts dans mes orbites et déplace les nuages.
Prenez
les pierres, ouvrez votre main. Voilà. Ne perdez rien,
mettez-les en poche.
Je lui demande :
que
signifie Bilal ?
Il me dit que Bilal c'est l'eau,
cette même eau qui nous arrive maintenant jusqu'au cou. Nos
limites se mélangent comme par excès de confiance. Nous ne
parlons pas la même langue mais nous sommes dans un même
rêve.
Qui suis-je si vous êtes le fils de la mer ?
Il me sourit puis me dit :
vous savez nager ?
Allons à Mapuetos !
Le soleil se couche en nous
oubliant sur l'île de sable, la voix de Moses Sumney
enveloppe la nuit. Les étoiles nous surveillent. Il me
guide. Après quarante jours et quarante nuits de nage, nous
arrivons à Mapuetos.
Comment connaissez-vous cet
endroit ?
lui dis-je. Il garde le silence. Je ne
ressens aucune fatigue, au contraire. Il se retourne et me
lance :
vous avez fait la promesse tacite de me
suivre, acceptez cette soumission, lâchez prise, là nous
sommes où vous rêviez aller, faites-moi confiance. Notre
rencontre était inéluctable, depuis quelques temps,
lorsque je suis dans la ville, des chiffres apparaissent
comme des anges gardiens, 11:11 sur le cadran de mon
téléphone, 22:22 sur la montre de mon frère, des dizaines
de fois, partout, c'était drôle au début puis je me suis
dit que cela devait bien me raconter une histoire. Avant
notre rencontre, lorsque je nageais, j'ai jeté un dernier
coup d'oeil à ma ville et je vous ai vu. J'ai fait
demi-tour. Je partais je ne sais où, fils de la mer je
pourrais moi aussi m'abandonner sur une vague. J'avais
compris que vous étiez l'homme de Mapuetos. On m'a
beaucoup parlé de vous. La ville ne parle que de vous mais
vous ne vous en rendez pas compte. Vous pensez ne pas être
vu sauf que vous n'êtes pas invisible. Beaucoup vous
aiment, d'autres vous détestent, ils ne sont pas dans vos
rêves.
Mapuetos est une zone
désertique, le volcan Imyriacht est là, invincible, cracheur
de mots, cracheur de nuages, cracheur d'amour. Bilal Faris,
fils de la mer, homme réservé, discret voire timide, très
beau et grand séducteur, s'arrête de marcher un court
instant et me dit : j'apprécie beaucoup les
rapports humains. Il y a un semeur de conscience sur cette
route, j'aimerais vous le présenter.
Je me laisse
emporter vers cette nouvelle rencontre. Le semeur de
conscience se présente : je m'appelle Christophe
Richart Carrozza
, il nous propose de nous asseoir,
tous les deux torses nus, les vêtements arrachés par la mer,
il nous dit : qu'avez-vous rêvez hier ?
Bilal Faris répond qu'il ne se souvient jamais de ses rêves.
Le semeur de conscience, que j'avais déjà vu dans un autre
rêve, lui répond : vous n'allez donc jamais vous
rappeler de tout ceci ?
Bilal remue la tête de
gauche à droite en signe de perplexité. L'homme barbu assis
au milieu d'une pièce ronde me pose la même question, je lui
réponds : je me souviens de tous mes rêves, je
rêvais même en nageant, je me souviendrai donc de
celui-ci. Hier, j'ai rêvé que des blattes entraient et
sortaient de ma bouche pendant que je dormais.
Il
m'observe d'abord en silence, long silence, puis me
dit : avaler des blattes pour mieux les recracher.
C'est l'expression d'une douleur sourde qui empêche la
rage intérieure de s'exprimer. Je vais griller
soixante-dix-huit sauterelles, vous allez les mettre en
bouche, les avaler, boire un litre de lait par dessus puis
vomir proche du volcan dans un trou, ensuite vous allez
planter par-dessus une plante fleurie. Lorsque vous aurez
terminer, je placerai Bilal devant le mur rouge des
interprétations, voici un t-shirt jaune cher Monsieur,
vous allez recracher ce que votre ami a dans l'âme.
J'obtempère, j'avale les
sauterelles, je bois le litre de lait, je vomis dans un trou
proche du volcan, je referme le trou, je dépose une plante
fleurie. J'observe Bilal devant le mur rouge des
interprétations, je le vois avec une fumée blanche qui lui
sort de la bouche, comme si le fils de la mer s'était
transformé en dragon. La beauté des dragons. Le semeur de
conscience demande l'heure à Bilal qui répond : il
est 88h88
. Les quatre infinis. Je pense que je ne
me souviendrai jamais de ce rêve. Est-il possible de vivre
à Mapuetos ? S'installer ici ?
Je remue la
tête de haut en bas en signe d'approbation. Le
semeur de conscience nous accompagne et face à une étendue
d'eau, d'arbres et de sable, nous dit : vivez !
Croyez-moi, Mapuetos est assez grand pour tous vos projets
oniriques !
Le rêve est bleu. Les ondes
de la mer. Une dernière vague.