Célia

Célia

Le portrait onirique de Célia

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Dans le rêve, je suis chauffeur de taxi. C’est un métier que j’aurais aimé faire. Je voyage dans la nuit comme dans un film de Jim Jarmusch, j’embarque une directrice de casting à Rio puis un cascadeur sans son cheval à Bornéo, un arbitre de water-polo à Marrakech, un clown démembré à Mapuetos et une slameuse à Alger. Elle me dit : emmenez-moi à Lutry, il faut que je parte aux Maldives. Je mets le compteur et je me prépare au long voyage direction Lausanne, puis Lutry. Il neige partout : du Maghreb au canton de Vaud, la neige tombe, colle, bloque les routes, envahit nos corps et nos cerveaux. L’expérience est douloureuse. Le rêve est monotone, tout est identique partout, tout le temps. Je dépose la jeune femme devant une maison, elle me dit : attendez-moi ici ! Je la vois entrer dans une jolie maison bleue au bord du lac Léman.  La Suisse, cette trop belle carte postale. Je sors de la bagnole, je prends de la neige et je nettoie la voiture. Elle ressort et me dit : je m’appelle Célia, venez, on va manger. 

La slameuse s'appelle Célia. Elle m'invite à manger et j'accepte. À l'intérieur, il n'y a pas de meubles, juste des tapis berbères au sol, des coussins et une table basse. Elle prépare du thé à la menthe, sort des dattes et du pain. J'ai l'impression d'être à Alger. Par la fenêtre, je vois le lac gelé. Un bateau est prisonnier des glaces. La neige tombe toujours et partout. Célia me raconte qu'elle n'ira pas aux Maldives, qu'elle préfère rester ici, dans cette maison qui n'est pas la sienne. Elle me propose de rester aussi. De toute façon , me dit-elle, avec cette neige, vous ne pourrez pas repartir. Je sais qu'elle a raison. Mon taxi est déjà enseveli sous trente centimètres de poudreuse. Je m'endors sur un tapis, bercé par sa belle voix qui chante en arabe. 

À mon réveil, j’entends des gens, le bruit de meubles qu’on traîne sur le parquet, des lampes qui tombent, des fantômes mal réveillés. Je demande : c’est qui et où sommes-nous ?  Célia entre dans le salon où je dormais dans un divan couleur pourpre. Elle me dit : j’ai vendu votre voiture, voici l’argent, vous m’accompagnez aux Maldives, j’ai changé d’avis ! Nous sommes chez des amis en couple à Lutry. Ils sont en train de vider leur pièce pleine de cannabis avec leur cousin défoncé. Je me lève, embarrassé par la situation, je me sers du café froid dans un bol : je dors mal depuis trop longtemps. Je n’arrive plus à trouver envie, joie de vivre et projets. Cela me stresse beaucoup. Il faut que je rentre chez moi. Je regarde par la fenêtre, il y a deux petites filles sur un balcon. Elles montrent du doigt le port de Lutry. Elles sont pieds nus et il fait moins dix, tout est gelé, encore, toujours. Les voisins vont nous accompagner jusqu’à l’aéroport. Partons maintenant, le vol est à dix heures, demain. Je me demande comment fait Célia, d’où vient toute son énergie. Je lui demande s’il y a un vol pour Mapuetos. Elle vérifie sur son application puis me dit en riant : Mapuetos ? Eternally delayed flight ! Une des deux filles est habillée de vêtements très colorés, elle entre et m’offre un énorme biberon au café. 

On arrive aux Maldives, Célia retrouve son amie Anne-Camille dans un immense hôtel style Club Med. mais tout le monde est habillé en mode hiver et il fait froid. Sur la route, entre deux poupées gonflables, il y a une course entre un motard, une licorne et un rhinocéros noir militant. On nous explique qu’il est interdit de chanter aux Maldives, derrière les images paradisiaques, l’enfer des dictatures, je tombe malade, je vomis, ça ne s’arrête pas, ils nous demandent de quitter l’île. Une fois assis dans l’avion, je ne vomis plus. Je me dis que je dois être hypersensible aux rhinocéros. J’ouvre les yeux, Célia me demande si je vais mieux et si je suis d’accord de rejoindre ses amis à Montbenon. J’accepte mais je ne sais pas où est Montbenon. Il fait trop chaud en Suisse, devenu pays tropical. Je me demande pourquoi je laisse Célia aux commandes de ma vie. 

Montbenon se révèle être un parc suspendu entre ciel et terre, où des acrobates en costume trois pièces marchent sur des fils invisibles en récitant du Baudelaire à l'envers. Célia me prend par la main et m'entraîne vers un kiosque à musique transformé en aquarium géant. Des poissons-clowns y jouent du saxophone pendant que des méduses fluorescentes font office de spots de lumière. Un vieil homme en smoking, assis sur un banc de corail, nous tend des masques de plongée en cristal en murmurant : C'est l'heure de la valse des profondeurs. Les amis de Célia sont tous là, flottant dans l'eau comme des algues élégantes, leurs cheveux formant des auréoles mouvantes autour de leurs visages. Je reconnais le cousin défoncé qui danse maintenant avec une raie manta, et les deux petites filles du balcon qui sont devenues des sirènes à rollers. La musique monte des abysses, un mélange de jazz aquatique et de slam berbère. Je me laisse porter par le courant, mon costume de taxi se transforme en écailles argentées. Pour la première fois depuis le début de ce voyage, je ne me demande plus où je suis ni pourquoi. Je suis simplement là, dans cette Suisse devenue océan, où les rêves se dissolvent dans l'eau salée comme du sucre dans du thé à la menthe. Le ciel s’assombrit d’un coup. Une tornade noire se dessine à l’horizon. Anouck crie sur Célia :  on fait toujours ce dont TU as envie ! Pourtant Célia essaie juste de sauver nos peaux. On part de Lausanne qu’on voit se faire bombarder alors que des hommes et femmes masqués prennent le contrôle de la ville. On fuit encore plus loin dans une usine et on nous indique qu’on peut se réfugier dans les hauteurs d’une tour invisible où vivent des réfugiés syriens avec leurs enfants. Mais avant d’entrer dans l’usine, un véhicule s’arrête à nos pieds avec un homme au volant. Il y a des chats dans la voiture et un autre homme à l’arrière. Elle entre et me dit : c’est mon père et mon frère, on part en France. Bonne chance ! Bonne route vers Mapuetos ! 

Je relis mon plan d’action pour la nouvelle année, je ferme les yeux et choisis au hasard un des onze points : BOUSCULER LE STATU QUO. Je me réveille à Madras.


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Bio

Célia est une voix vibrante du slam international, où elle mêle poésie engagée et jazz pour tisser des liens entre cultures et inspirations. Depuis ses débuts en open mic jusqu’à ses victoires en tournois prestigieux, elle s’impose comme une artiste incontournable, figure de proue du slam suisse, à la fois performeuse et animatrice d’atelier dans les écoles et auprès des femmes. En 2021, elle sort son premier album Joies Ombragées, reflet poétique de ses multiples voyages d’Antananarivo à Chicago.

Précisions d’usage 
Ce portrait est un portrait onirique basé sur un rêve, et donc, ce n’est qu’un portrait onirique et imaginé. Par conséquent, l’histoire qu’il raconte n’est pas une histoire vraie. Erreurs de syntaxe, d'orthographe ou coquilles... faites-nous part de vos remarques à mapuetos@mapuetos.com

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