Fabien De Chalvron

Fabien De Chalvron

Le portrait onirique de Fabien De Chalvron

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De vieux doigts sur un piano désaccordé semblent jouer une même note désenchantée comme dans un délire obsessionnel. Une cantatrice lit un texte imprimé sur du plastique recyclé. Elle lit, chante, déclame : les progressistes du monde entier se sentent assiégés. Où vont-ils pouvoir vivre ? Ils vont devoir fuir, chercher des groupes amis, s’organiser, s’armer ou se cacher. Il ne reste plus que quelques îlots, résister. Il n’est pas question de rompre avec le progressisme pour eux. Pas question. Ils vont devoir délimiter un nouvel espace vital, changer leurs habitudes, se taire parfois sans changer leurs convictions morales ou éthiques. Ils sont tous dans l’angoisse obsidionale. Fuir loin des villes ? À quoi ça sert ? L’ennemi est partout. Le rêve est malicieux, il rit à mes dépens. J’entends des sarcasmes étouffés, la vox populi défendre l’indéfendable. Je pars à pied et je prends des routes qui ne se croisent plus. J’ai, dans ma valise, tous les signes, insignes et tous les codes pour ne jamais paraître l’ennemi. On massacre les traîtres et les innocents ces temps-ci. Je me faufile dans le nord, j e m’installe dans l’appartement que je viens d’acheter à Turku en Finlande. Je suis arrivé hier, j’ai payé et je suis assis dans un immense fauteuil pas très commode qui irradie mon omoplate droit. Je ne sais pas ce que je fais dans ce pays, encore moins dans cette ville. J’ai vu le château dans l’après-midi et une femme est venue m’offrir des beignets de l'évêque, une spécialité locale. Quelqu’un frappe à la porte. Je comprends enfin que je suis dans un rêve audacieux : lorsque je marche, mes yeux tournent et des vertiges crispent mes mouvements. J’essaye d’attraper un verre puis la poignée d’une porte mais je trébuche. J’ai toujours pensé que c’était l’amour qui provoquait ces symptômes mais là c’est l’état classique du dormeur qui rêve, des rêves qui envahissent les nuits, des situations provoquées par un désir absolu, celui de vivre, revivre, survivre. Donc, j’ouvre la porte. Un homme, que je ne connais pas, me dit en français : voilà le patapouf ! Je lui dis : Monsieur, vous vous trompez de rêves, il y en a d’autres dans le couloir, essayez là-bas. Il ne s’est pas trompé, l’appartement appartenait à une psy : une femme d’un certain âge, les yeux blancs, les cheveux blancs coupés au carré qui fumait des Vogue pendant ses consultations. Je suis sincèrement désolé de lui apprendre que l’ancienne propriétaire a quitté la ville. L’homme se présente : je m’appelle Fabien De Chalvron, vous voulez que je masse votre omoplate ? Vous avez encore du chemin à faire, il y a une terre entière à voyager. Le rêve me prend à la gorge, m’empêche de penser, m’empêche de rêver même. Je perds pied et trébuche. Une main me rattrape d’un mouvement élégant, les pièces de l’appartement changent de couleur, tout retrécit comme si j’étais dans une boîte à chaussures. Je me réveille dans le coffre d’une voiture, mains liées, un foulard en bouche, qui m’étouffe, m’absorbe, me tue. Le foulard déteint, plus de carreaux noirs et blancs, tout devient gris. Le goût du gris. Je bave pour exister. La voiture s’arrête dans une forêt. Je sens les parfums d’arbres, odeurs de la diversité, arbres occupés à pousser, à vivre et mourir. Plus de civilisation.

En fait, je ne me réveille pas, tout s’emboîte, plusieurs rêves dans une même nuit onirique. Fabien De Chalvron entre dans mon appartement. Il m’indique l’endroit où sa psy prenait ses Vogue . Je les prends et en allume une. Il s’assied dans le divan. Il me raconte : d’abord je suis assis dans une voiture, derrière la conductrice qui est ma grand-mère maternelle. Comme vous, elle a les yeux bleus et les cheveux blancs. Je regarde à travers le rétroviseur. La route est sombre et diffuse, ça doit être la nuit, ou peut-être une fin d’après-midi dans l’hiver finlandais, comme maintenant. Au-delà de la nuque et des épaules de ma grand-mère, je vois dans le rétroviseur qui devient la vitre arrière gauche de la voiture, le visage d’un garçon d’à peu près deux ans. Aucun doute que c’est moi. C’est mon passé qui défile sous mes yeux clos. L’enfant me sourit, mais cela parait faux, figé, caricatural, un peu comme le grimage d’un clown. Juste après que je me rende compte que son sourire est forcé, l’iris de son œil droit part brusquement vers le côté droit. Il continue de me sourire fixement avec cet œil droit qui part en couille, comme un petit diable. 

Je regarde par la fenêtre, on s'enfonce tranquillement dans l’hiver. Il fait déjà nuit et les températures baissent. Je lui dis tout en fixant le monde qui s’assombrit : votre grand-mère ? Je suis vexé d’être transféré en grand-mère par ce patient. Il ne me répond pas. Puis en faisant de la buée sur la vitre je parle en criant : et y avait-il quelqu’un dans le coffre de la voiture ?  Fabien De Chalvron s’étonne de ma violence verbale, mes yeux sortent des orbites, mes joues pourpres éclatent. Il poursuit : je n’oublierai jamais le regard maléfique de cet enfant. Mon regard maléfique. J’allume une troisième cigarette. Je ne veux pas le regarder dans les yeux, je me dis que c’est mon appartement et que je ne suis pas psy. Je vais me servir un petit verre de Salmiakki. En passant devant le divan, je ferme les yeux pour éviter son regard. Je me sers un verre d’alcool à la réglisse et je retourne à ma place, debout devant la vitre. Je vois des animaux s’entretuer à l’extérieur, des enfants découpés en petits morceaux, des pigeons qui roucoulent. Il poursuit : j’ai l’impression que mes rêves ne vous intéressent pas, Patrick Lowie. Je produis de plus en plus de buée sur la vitre et avec l’index, je dessine un cœur….. mais qui s’avère finalement être un râle rauque, comme une inspiration longue transpirant la peur, et qui provient d’une toute petite cour fermée entre quatre murs. Dans cette cour, il y a un nain, qui a l’air paniqué de me voir, et qui roucoule de plus en fort. Je sais que c’est encore moi, cette fois en vraiment moche. Un nain avec des cheveux fins et gras, parsemés sur un visage rond et laid, avec une barbe de plusieurs jours. Il doit puer. On dirait qu’il est enfermé là depuis un certain temps. Au rythme de sa respiration souffreteuse il fait sauter et rebondir dans sa main une tête coupée d’homme qui lui ressemble, sale, effrayé, halluciné, avec des cheveux longs et gras. 

Un lourd silence s’installe. Nous ne sommes pas à Turku, n’est-ce-pas ? Je reste relativement passif, on a volé mon autonomie et j’ai perdu mon arc émotionnel. Je prends du gros sel et en dépose dans tous les coins de l’appartement pour faire fuir les mauvaises pensées, la magie noire, pour faire fuir les toxicités, les embruns, l’appartement devient un navire dans les eaux d’Amérique du Sud. Le gros sel change de couleur, le nain est pris à son propre piège, la marée noire se transforme en une eau limpide et bleue. Mon sentiment est particulier, on vogue sur des vagues dorées. L’or est vieux et poussiéreux, comme s’il nous attendait. Parfois tout s’accumule dans le cœur et parfois nos corps se vident d’un or cruel. Je me dis que cette fois, je ne reviendrai plus sur les chemins déjà empruntés. Je me sens envahi par un sentiment d'apaisement, comme si je flottais sur un océan de rêves. Fabien De Chalvron murmure : Peut-être que cette fois, je pourrai vraiment m'y perdre, laisser les courants m'emporter ailleurs. Je le regarde enfin dans les yeux et dis : le flow, apprendre à écouter pour éviter le chaos et tout ira bien.  Et il s'abandonne, happé par les vagues dorées du sommeil. 


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Bio

Acteur, metteur en scène, professeur de théâtre, masseur, professeur d’anglais, de français, instituteur, photographe… Un peu comme Patrick Lowie, je suis multiforme. Franco-Finlandais d’origine, plurilingue, j’ai grandi et habité à Paris, avant de partir trois ans en Thaïlande, revenir, et repartir pour le Maroc. Je suis installé à Casablanca depuis janvier 2024.

Précisions d’usage 
Ce portrait est un portrait onirique basé sur un rêve, et donc, ce n’est qu’un portrait onirique et imaginé. Par conséquent, l’histoire qu’il raconte n’est pas une histoire vraie. Erreurs de syntaxe, d'orthographe ou coquilles... faites-nous part de vos remarques à mapuetos@mapuetos.com

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