Irene Seghetti
Irene Seghetti
Le portrait onirique de Irene Seghetti
Le portrait onirique de Irene Seghetti
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Cela fait plusieurs nuits que je rêve du champs d’oignon, je me
vois dans ce champs puni par le monde insensible pour avoir fait
pleurer l’Humanité inutilement, l’orgueil, je me vois éplucher
lentement les bulbes qui me collent à la peau, puis je me détache,
telle une épluchure. Ce n’est pas simple de raconter un rêve,
encore moins de l’interpréter ou espérer d’y trouver une clé. Je me
réveille, les larmes aux yeux, à cause des oignons rouges. Je sais que
dans la nuit du 11 septembre 2012, j’ai rêvé d’un endroit étrange,
sombre, au sommet d’une montagne noire et invisible, troublante,
je piétinais les lumières de la ville d’en bas, puis cette entrée
dans un monde différent, apaisant, réconfortant, et huit lettres :
Mapuetos. Oui, je le sais, les rêves sont souvent inexplicables, trop
privés, ce sont de courtes images, des bribes de dialogue,
me dit la
jeune fille tout de go. Et lorsque je me souviens des rêves, ce sont
souvent des rêves de morts, d’escaliers à parcourir dans l’angoisse,
de guerres mondiales... de fuites interminables.... oui, c’est surtout
ça, des fuites dans un climat de guerre... quand je ferme les yeux,
je sais que les probabilités sont grandes de regarder ce bon vieux
film un peu angoissant que je connais si bien...
Irene Seghetti fait
une pause, lève la tête et compte les nuages, puis les redessine.
Dans ce rêve, nous sommes assis à la terrasse d’un café à Florence,
face au théâtre Puccini, loin de la cohorte des touristes, ceux qui
voyagent pour acheter des souvenirs d’un voyage qu’ils n’ont pas
encore fait. Il y a quelques semaines encore, je ne pensais plus
revoir Florence, ville qui porterait le voyageur, le soutiendrait à
chaque pas et rendrait sa démarche plus légère
(Marcel Camus,
Carnets III
, mars 1951-décembre 1959), mais j’avais en moi ce
désir radical de ne plus vouloir traverser l’Arno, j’observe les
façades, les visages des promeneurs, Florence a l’air fatiguée, la
ville bâille, je vois sa glotte qui gonfle. La jeune femme m’écoute
avec attention tout en feuilletant les pages de son cahier à rêves
comme si elle compulsait un dossier médical. Irene, je vais vous
avouer que moi aussi, lorsque je ferme les yeux, et ce, depuis dix
ans au moins, je me berce d’images de guerres et de violences.
Au début, cela me faisait peur, mais ces images me réconfortent
aujourd’hui, me bercent. Je ne sais pas s’il y a un lien, vous savez,
tout transforme nos vies, même les absences, les vides, une pluie
fine sur le cou, les coups d’un beau-frère violent, c’est la mémoire
qui fait de nous ce que nous sommes. La semaine passée, je suis
allé chez le coiffeur, après quinze minutes de silence, l’homme qui
était en train de me couper les cheveux de travers, m’a lancé : «
Vous êtes médecin, n’est-ce pas ? ». Une autre fois, il y a quelques
années déjà, j’entre dans une épicerie, un homme s’avance vers
moi et me dit : « Docteur Rossi ! On vous attendait. ». Pourquoi
m’imagine-t-on médecin ? Hier soir, un jeune homme, les pieds
dans la boue, m’a dit que je ne pouvais pas changer de métier.
Que ce métier d’écrivain m’habitait. Oui, je lui ai exprimé mes
doutes, mes envies de sortir de ce labyrinthe, nous aurions pu faire
autre chose, mais nous avons parlé de ce tunnel qui est en moi,
en nous. De ces déserts qui assèchent le vacarme de nos doubles
sens. Le bout du tunnel, c’est la lumière à nos yeux, écrire c’est
comme aimer, il ne faudrait jamais s’attendre à recevoir quelque
chose en retour.
Pendant que
je parle, elle déchire quelques pages
de son calepin qui s’envolent, emportés par le vent. Je lui dis
: vous savez, dans l’obscurité, on ne voit rien. Nous ne sommes
plus dans l’angle. Venez, traversons la route, allons au théâtre.
Un homme, un fantôme, un poète-médecin, un guérisseur, une
âme qui rassemble tout ça nous ouvre la porte de l’entrée des
artistes, nous prend dans ses bras et nous guide dans les coulisses
du théâtre, il se murmure à lui-même : je m’accuse d’avoir écrit
des poésies, supplications, injures // Je m’accuse de ne jamais
avoir refusé une goutte d’eau à une fleur // Je m’accuse de mes
lèvres et du doigt sur elles // Je m’accuse mille fois d’espérances,
mille fois de foi, mille fois de la neige et de la pluie // Je m’accuse
du vert des prés, du blanc de la lune, du rouge de la passion //
Je m’accuse du plaisir de ma peau et sous ma peau ...
(Antonio
Bertoli,
Les territoires du cœur
) - Nous ne sommes pas censés
jouer dans cette pièce qu’on découvre, cachés derrière la boîte
noire. Un homme, le regard méchant, la mâchoire sans finesse,
au centre de la scène, des bulbilles sur la tête, épluche des oignons
en récitant un texte sur le voyage intérieur. D’un seul coup, le
silence s’installe sur scène, les spectateurs s’impatientent, les
comédiens ont oublié leur texte. L’un d’eux vient vers moi, je
le reconnais, c’est le coiffeur... il nous dit : ce n’est pas de notre
faute, dehors c’est la guerre.
Irene fait un mouvement.... Je lui dis
: ne nous faussez pas compagnie, je vous en supplie.
Mais elle ne
m’écoute pas. Elle ouvre la porte, une lumière aveuglante anéanti
l’atmosphère du théâtre. Dehors c’est le jeu de la guerre. Le
café où nous étions est envahi par des milices fascistes. L’armée
a envahi la ville. Mais ce n’est qu’un jeu. Rien qu’un jeu. Et en
observant la lumière étrange qui a rendu nos visages si blancs,
Irene dit : et alors je joue, je me cache, un peu de peur au ventre
comme quand on est enfant et qu'on craint de se faire attraper... Et
je traverse cette ville qui semble plonger dans le désert, mais c’est
un endroit merveilleux, il y a des montagnes, des palmiers, des
tunnels, des lacs, mais aussi des ruines, des centres commerciaux,
des hôtels avec piscine... Tout à coup, je ne suis plus seule, des
amis m’accompagnent et ensemble on traverse ces paysages, avec
une lumière perçante, on marche, on court, et on finit dans un
fleuve en remontant le courant.
Je me retourne, le théâtre est
vide. L’homme qui nous a fait entrer est assis aux premiers rangs.
J’entends l’écho de ses applaudissements rebondir et se propager
pour annoncer la bonne nouvelle. Des images se projettent sur
l’écran de la scène, les images d’un fœtus de sept mois. Il suce
son doigt puis il applaudit lui aussi. Je m’approche des premiers
rangs. L’homme n’y est plus.
Publications & anecdotes
Ce portrait a été publié dans le livre Next (F9), 111 portraits oniriques
de Patrick Lowie, publié aux éditions P.A.T.
Bio
Irene Seghetti est née le 6 décembre 1989 à San Benedetto del Tronto, sur la côte adriatique italienne. Amoureuse de la littérature et de la langue française, elle s'installe à Bruxelles pour se spécialiser en tant que traductrice littéraire. Entre-temps, elle se passionne pour le théâtre et, en 2016, entre au Conservatoire de Mons en Art dramatique. Elle traduit en italien les portraits Mapuetos
Précisions d’usage
Ce portrait est un portrait onirique basé sur un rêve, et donc, ce n’est qu’un portrait onirique et imaginé. Par conséquent, l’histoire qu’il raconte n’est pas une histoire vraie. Erreurs de syntaxe, d'orthographe ou coquilles... faites-nous part de vos remarques à mapuetos@mapuetos.com
Précisions d’usage
Ce portrait est un portrait onirique basé sur un rêve, et donc, ce n’est qu’un portrait onirique et imaginé. Par conséquent, l’histoire qu’il raconte n’est pas une histoire vraie. Erreurs de syntaxe, d'orthographe ou coquilles... faites-nous part de vos remarques à mapuetos@mapuetos.com