Jean Luc Raharimanana

Jean Luc Raharimanana

Le portrait onirique de Jean Luc Raharimanana

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J’entends une voix qui me dit : tu as beau créer l’endroit le plus pacifique jamais imaginé, il y aura toujours un p’tit con qui viendra réclamer ses droits d’auteur…. Je me retourne et je murmure : je sais que l’ego des imbéciles détruit tout. Ce n’est pas nouveau. Mapuetos est invincible… la voix me dit : Mapuetos est invincible parce que ce lieu n’existe pas. Une vieille chanson de Manset traverse mon rêve, plus fort qu’une armée entière… mais il est seul … ma pensée se durcit, mon coeur saigne. La voix insiste : savez-vous vraiment où se trouve Mapuetos ? Ou n’est-ce qu’une arnaque poétique ? Une folle passion ? Comme lors d’une séparation, je revois toutes les images du passé, les beaux moments d’un amour impossible, Mapuetos est né d’un rêve prémonitoire, d’images psychédéliques. La terre tremble à nouveau, allumez la lumière, aveuglez l’obscurantisme, restez fiers face à la beauté de perdre un grand amour. Je traverse les champs, longe les plages malgré les nombreux tremblements, j’arrive au croisement des rêves, au pied du volcan Imyriacht, je sens en moi l’intensité des années perdues, l’amertume de rencontres inutiles, les cauchemars plus intenses que les rêves. Le décor me rappelle certaines descriptions d’un livre lu il y a longtemps : les cactus-cierges surgissaient gris sel sous les jets de lumière, d’une charnure trop ferme pour se plier au vent, dans leur lente houle innombrable, leur inhumain caquetage de piquants et d’écailles…. Un homme s’approche de moi. Je sens sa bonté, je sens sa timidité, je ressens son talent et sa poésie. Il me sert la main. Une main puissante, une énergie électrique. Je lui dis : un de vos ancêtres était magicien. Vous êtes guérisseur, vous avez été choisi. Que faites-vous ici, à Mapuetos ? Une guêpe se jette sur mon visage. Je chasse les nuages en forme de masques de démons, agressifs, des drishti bommai. L’homme se présente : je m’appelle Jean Luc Raharimanana, je suis Malgache,... je lui dis que je sais qui il est : les chars se sont ébranlés mon amour et j'ai écrit sur les flammes ces mots qui jamais ne t'atteindront. Tout brûle ici. Je coule en désespérance... je connais tous vos textes par coeur. Tous les deux, mains dans les poches, on reprend le chemin du volcan. Il me dit qu’il vient dans ce rêve depuis plusieurs nuits, qu’il aimerait me parler de ses angoisses, de ses peurs, de l’avenir du monde et de son pays. Il me dit qu’il a un plan, il me détaille le plan, j’approuve. Il ajoute : Patrick Lowie, vous êtes essentiel dans ce plan. Pour vaincre, nous devons pouvoir reprendre possession de nos terres et surtout utiliser Mapuetos comme repli. Ça revient souvent dans ma tête. Un feu de feuilles noircies où les lettres semblent flotter dans l’air avant de s’effondrer en cendres. Elles ne s’impriment pas les lettres, pas dans les cendres, elles y demeurent abrasives, illisibles, incandescentes et porteuses de colère. Régulièrement, je fais ce cauchemar, que je marche à l’endroit précis du feu, il y a un peu de cendres au sol, je marche dessus, les lettres me brûlent alors les plantes des pieds, je ne veux pas tomber car dans la poussière où repose la cendre, des phrases commencent à s'écrire. Je dois de fait marcher sur la cendre tout en préservant la poussière dessous. Les lettres pourtant continuent à me brûler les plantes des pieds. C’est à ce moment que mon père apparaît. Alors, d’un mouvement de tête, je fais disparaître le feu pour que mon père ne s’aperçoive de rien. Mes pieds me brûlent toujours mais je fais comme si de rien n’était. Je marche à côté de mon père, m’efforçant d’être droit, les lettres deviennent cendres. Je me retiens pour ne pas me retourner. Pour ne pas voir la cendre manger la poussière et anéantir les phrases à peine recomposées. Je prie pour que certaines lettres aient le temps d'entrer dans la chair de mes pieds. Je me réveille toujours ainsi avec un tel sentiment de regret dans la poitrine… Des flamants roses se protègent sous des arbres en feu, le volcan est en éruption mais nos pieds ne brûlent pas. 

Les flamants roses se dissolvent dans la brume volcanique tandis que Raharimanana et moi continuons notre ascension. La terre pulse sous nos pas comme un cœur malade. Je lui confie que depuis des semaines, les frontières entre mes rêves et la réalité s'effacent, que parfois je me réveille avec l'odeur du soufre dans les narines et des traces de cendres sur mes draps. Il sourit, sort de sa poche un petit carnet aux pages noircies d'une écriture serrée. Les mots aussi traversent les mondes , murmure-t-il. Regardez. Il ouvre le carnet et les lettres s'en échappent comme des lucioles affolées, dansant autour de nous dans l'air lourd de Mapuetos. Certaines se posent sur les roches volcaniques et y gravent des histoires anciennes, des prophéties peut-être. D'autres s'envolent vers le cratère en formation de phrases qui me rappellent étrangement les scarifications rituelles des anciens guérisseurs malgaches.

La voix revient, mais cette fois elle parle en plusieurs langues simultanément, un chœur de murmures qui fait trembler les cactus-cierges : Ce n'est pas Mapuetos qui n'existe pas, c'est votre monde qui n'est qu'une illusion fragile. Je regarde mes mains : elles sont devenues transparentes, traversées par la lumière rouge du volcan. Jean Luc Raharimanana pose sa main sur mon épaule : C'est maintenant que tout commence. Les mots sont des armes, des boucliers, des ponts entre les mondes. Il est temps de les utiliser. Je lui dis que si les mots sont des armes on ne doit pas s’étonner qu’un jour ils nous abattent comme des lapins lors d’une chasse à courre, ramenés par la meute de chiens aux pieds des maîtres du monde. Je préfère mourir dans ce volcan. On marche sur la lave rouge écarlate, des larves colonisent mon corps mais brûlent, la purification par le feu. Le poète malgache m’observe et me dit : je savais que j’étais un guérisseur mais je n’ai pas encore pu rassembler tous les éléments, tout semble brûlé, oublié…. Je m’arrête net : ne faites pas cette erreur. Tout est déjà rassemblé, il suffit d’ouvrir les yeux.

Il ouvre les yeux et disparaît, quelqu’un a dû le réveiller, pensai-je.  


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Bio

Romancier, essayiste et poète, Raharimanana est également auteur de pièces de théâtre, de contes musicaux et metteur en scène. Editeur, il a fondé les éditions Project’îles en 2020 avec le poète Nassuf Djailani avant de rejoindre Asmodée Edern éditions à Bruxelles, Belgique, en 2024.  

Prix du théâtre interafricain 1990, pour sa pièce Le prophète et le président . Grand Prix Littéraire de Madagascar (ADELF), pour  Rêves sous le linceul, éd.Serpent à plumes, 1998 . Prix de la Poésie du Salon du Livre insulaire d’Ouessant, pour  Les cauchemars du gecko, Vents d’ailleurs, 2011. Il est lauréat du Prix Jacques Lacarrière , 2018, pour son roman Revenir , éd.Payot/Rivages. Son dernier ouvrage est paru chez Vents d’ailleurs, La Voix, le Loin, 100 poèmes, 2021.  

En 2023, pour l'ensemble de son œuvre, il a reçu le Prix International de littérature francophone Benjamin Fondane décerné par l'Institut culturel roumain sous l'égide de l'OIF, Organisation Internationale de la Francophonie.  

Il fonde en 2014 la compagnie de théâtre SoaZara. Parmi ses créations, La Voix, le loin (2022), Rano rano (2016) , Parfois le vide (2018) , Soonoo (jeune public, 2021), Les contes de la Grande île (conte musical). Artiste multi-pluridisciplinaire, il a récemment créé l’installation La Voix, le Loin, 100 poèmes qui entremêle la poésie, la photographie, la vidéo, la sculpture et la musique (Musée de Bibracte, Centre d’Art et du Paysage de Vassivière 2021, Médiathèque de Bandrélé, 2022, Musée de la photographie de Madagascar, 2023).  

Il écrit pour le cinéma et collabore avec les réalisateurs Maéva Ranaivojaona et Georg Teller, pour le film Zaho Zay dont il a écrit la voix off, Prix Renaud Victor et Mention spéciale Georges de Beauregard International au FIDMarseille 2020 -   Prix  Mehrwert à la Viennale 2020 – Festival International du Film de Vienne.

Il a co-écrit le film « L’île rouge  » de Robin Campillo, 2023 (Grand Prix du Festival de Cannes en 2017).  

Il a collaboré avec le réalisateur Lova Nantenaina pour le film Zanaka, ainsi parlait Félix , qui a reçu les prix Poulain d'argent au FESPACO 2019, Zébu d'or aux Rencontres du film Court, Antananarivo.

Depuis 2004 jusqu’à aujourd’hui, il parraine et codirige le Festival Plumes d’Afrique (Indre et Loire, France) proposant spectacles, débats, conférences, expositions, concerts, cinéma, et projets scolaires autour des expressions littéraires et artistiques d’Afrique francophone.

Précisions d’usage 
Ce portrait est un portrait onirique basé sur un rêve, et donc, ce n’est qu’un portrait onirique et imaginé. Par conséquent, l’histoire qu’il raconte n’est pas une histoire vraie. Erreurs de syntaxe, d'orthographe ou coquilles... faites-nous part de vos remarques à mapuetos@mapuetos.com

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