Je ne sais pas si la mauvaise idée était de faire une
sieste (mais mon corps ne m'a pas demandé la permission) ou
si la mauvaise idée était de se réveiller (je me suis
réveillé persuadé d'être dans la cage d'un lion dans un zoo
à Tchernobyl). Du coup, la déprime m'enveloppe dans son drap
et je me débats pour ne pas manger du chocolat tout seul à
la maison, on me dit de ne pas m'inquiéter tout cela ne va
prendre que dix minutes, que cela fera un excellent post sur
facebook et fera rire tout le monde. Bref, j'ouvre le frigo
et trouve une bière fraîche (quel hasard !) qui va remettre
les neurones en état, l'ordinateur est déjà allumé pour
écrire même si Rob Brezsny m'a conseillé de débrancher un
peu, mais ce qu'il ne sait pas ce cher Rob, c'est que je
suis gémeaux ascendant gémeaux.
Et donc, cela faisait plusieurs réveils sans rêve, sans
souvenir. Impossible de prendre le pouls de mes intentions
oniriques. Je me souviens bien de quelques apparitions
étranges comme ce bâtiment religieux construit comme des
dessins de Maurits Cornelis Escher avec ses escaliers
partout ou du sourire d'un ange ou deux, des sourires
monnayées avec des piécettes tombées du ciel ou de la
tentative ratée de connection avec le divin. Sinon, rien.
Sinon, rien ? Mais c'est déjà beaucoup Patrick Lowie ! Je
suis très émue de vous voir ici dans mon rêve,
me dit
Nadejda Peretti. J'ajoute :
Ah oui, j'ai aussi rêvé
d'une rose noire qui mourrait, d'une fête qui s'arrêtait.
Dans le parc du village, un groupe de musiciens ressuscitent
des chansons paysannes, l'un d'entre eux joue le piffero,
l'autre la vieille à roue. On aurait presque envie de danser
au son de l'accordéon. Je comprends qu'on est en Romagne. Au
coeur du village, en face de l'église, une belle bâtisse
accueille beaucoup de gens. On entre, des hommes habillés de
chemises grises et bleues bougent, s'affairent, circulent,
se retrouvent, se détournent, se boxent, se pleurent… les
femmes sont assises, elles assistent, commentent, se
congratulent, se protègent. Le bâtiment est neutre, il
pourrait n'avoir qu'une seule fonction : nous accueillir
dans ce rêve. Pas de déco, les murs sont jaunes mais pas
lumineux, d'un jaune terne, sombre. Sans ces hommes et ces
femmes, il n'y aurait rien ici.
Où sommes-nous ?
lui dis-je. Elle me répond qu'elle
ne sait pas, peut-être dans une soirée underground des
années 80 ou dans le QG de révolutionnaires subversifs de
2020, ils préparent peut-être une manifestation ou une
énième révolution. J'entends l'un d'eux parler du volcan
Imyriacht. Je me retourne instinctivement, la voix sort d'un
sarcophage.
Suivez-moi, on n'a pas le temps maintenant
,
on entre dans une pièce, plus grande, des cercles se mettent
en place, des cercles de rituels de chants.
Quelque
chose s'est passé dans la vraie vie
, me murmure un
enfant plein de joie,
l'imp(r)udence des adultes
,
une
explosition gigantesque
. J'observe des lianes qui
poussent rapidement le long des murs, au point d'avoir la
sensation d'être en Amazonie, je me mets au centre de la
pièce, les enfants prennent position, fatigués du
comportement des aînés. J'ai les mains dans un seau rempli
d'une décoction préparée à partir d'écorces et de tiges des
lianes. On me bande les yeux, je multiplie l’ayahuasca, j'en
offre à tout le monde. Le rituel a commencé, c'est la nuit.
Tout le monde bouge, d'une pièce à l'autre, ici et ailleurs.
Des hommes se prennent pour des animaux sauvages, des lions
sans queue surtout, une femme imite David Bowie et répète :
I'm a blackstar, a blackstar….,
tous les corps
tremblent, les dents serrés, les sourires désespérés, le
nouveau monde se fait attendre.
Ils se placent, guidés par l'intuition, en cercle, plusieurs
cercles je crois, j'entends la musique, elle s'éloigne, ce
n'est pas la nuit, une nouvelle planète issue du soleil
cache le soleil, on a froid, tout le monde à froid. On voit
mieux les couleurs, Nadejda s'est assise auprès de sa fille
et de son seigneur et maître amoureux. Elle se lève, on voit
sa jupe, colorée et belle. Elle tourne. Tourne. Tourne. Au
centre du cercle, au coeur des cercles. Sa jupe tourne
aussi, elle danse, elle tourne et elle danse, elle se sent
accomplie, elle sait que c'est ce qu'elle veut faire :
danser en rond, elle ne veut plus parler, paraître, rester
invisible, elle ne veut plus parler, ni chanter, ni jouer
quoi que ce soit, elle veut tourner, tourner, tourner, elle
se sent bien, elle se sent belle, elle est belle, elle
trouve un sens à sa vie, son existence, elle se connecte au
divin.
J'ouvre le frigo, il n'y a pas de deuxième bière. La lumière
du frigo éclaire mon corps, j'ai l'impression d'être
connecté au divin aussi, je le referme, et retourne dans ma
cage du zoo de Tchernobyl.