En 1974, j'étais en Grèce. J'avais dix ans, je me vois
encore grimper vers la demeure des vierges à Athènes, le
Parthénon. Je me souviens de militaires, d'un musée, … le
reste n'existe plus. Je n'y suis plus jamais retourné. Je
n'ai gardé ni de bons ni de mauvais souvenirs, je ne sais
plus où est la Grèce, c'est tout. Cette nuit pourtant, dans
mon rêve, j'étais en Grèce. Je me promenais dans un
labyrinthe de buissons installé entre deux îles, j'avais
enfilé un masque en forme de tête d'âne dans l'espoir qu'on
puisse tomber amoureux de moi. Mais le labyrinthe était
vide, la scène muette.
Au bout du labyrinthe, des murs entiers de mosaïques et de
verres cassés. Les mosaïques se décollaient. Les morceaux de
verres tombaient dans la mer. J'avais dix ans, je vois un
couple assis à une table ronde, l'homme dit à la femme : j'aimerais
appeler ce livre “Le livre de sable”, qu'en pensez-vous ?
Il y a des échelles partout, des damiers et échiquiers
dessinés sur le marbre. La terre tourne sur elle-même
plusieurs fois en quelques minutes, j'entends des
sifflements de toutes parts, je vois des bottes, des bottes
qui tapent le sol, j'entends des bruits de bottes, je vois
des anges, des anges, de beaux jeunes hommes dénudés qui
aiment leurs corps, prêts à tout pour exprimer leurs egos,
je vois des sorcières qui se décollent, elles aussi. Tout
cela me semblait si étrange, l'impression d'être un
personnage d'une œuvre de Pelly Angelopoulou, dans un de ses
collages. Dans le rêve, je comprends que je suis dans son
cerveau, que cette nouvelle composition est en position
d'attente de naître en tant qu'oeuvre d'art. Il y a des
parties floues dans cette nouvelle création, comme si elle
ne voulait pas encore me les montrer, moi aussi je lui cache
des choses dans mes poches, elle ne sait pas tout encore de
ma naissance, de cette naissance, je suis là, assis dans son
cerveau, j'attends que tout se dessine. Je vois son passé
qu'elle aimerait ajouter, qu'elle efface et qu'elle recolle
enfin, je sens sa dévotion pour ce nouveau projet, comme si,
pour elle, ce serait le plus marquant de sa carrière, comme
s'il fallait à chaque fois prouver qui l'on était.
Je me suis retrouvé dans un espace rocheux montagneux
inconnu, quelques arbres, des cailloux et des arbustes. Un
roi arabe s'approche de moi et me dit : que préfères-tu,
mon frère ? Un labyrinthe où tu vas errer, où tu seras
outragé et confondu, où tu imploreras une force pour
trouver la sortie ? Ou un désert, labyrinthe sans repère
où tu risques de tourner en rond, de mourir de faim et de
soif ?
Je m'avance vers lui et lui dis : cher roi,
cher ami, tu me donnes le choix entre deux sorties vers la
mort, tu es rusé, je ne veux ni l'un ni l'autre car tu
sais que le labyrinthe et le désert n'existent pas. Ils ne
sont que le fruit de ton imagination, de nos peurs et
angoisses…
Il me fait entrer dans une caverne,
j'observe la femme, une gitane, une sorcière devant un
autel, elle prépare la cérémonie. J'avais remarqué de
grandes caisses en bois. Une autre femme entre dans la
caverne, je reconnais Pelly Angelopoulou, que
faites-vous ici ?
lui dis-je, il n'est pas
raisonnable de nous avoir rejoint en vous. Ils vont
sacrifier un enfant. Ce sont vos mosaïques, vos créations
dans ces caisses en bois, n'est-ce pas ?
La sorcière
se lève et jette du sang sur l'artiste pour contrôler sa vie
et ses créations. Elle s'échappe, court, les mosaïques
sortent des caisses et volent, la poursuivent, elles veulent
tuer Pelly. L'enfant se réveille et s'échappe. Elle se
réveille en criant.
Coup de téléphone : Madame Pelly Angelopoulou ? C'est
Patrick Lowie, je voulais vous annoncer une très mauvaise
nouvelle : vos mosaïques sont introuvables, nous avons
fait le tour de l'épave, elles doivent être au fin fond de
l'océan.
Le sourire aux lèvres, elle dit : merci
cher ami, j'avais besoin d'être libérée du passé pour
commencer une nouvelle vie en tant que nouvelle personne,
c'est le plus beau jour de ma vie, merci. Ils ont voulu
sacrifier cet enfant, mais l'enfant c'était moi. Je me
suis sauvée à temps. Ils vont apprendre à vivre sans moi.
Assis, j'enlève ma tête d'âne, toujours rien ni personne. Je
m'endors doucement en position du fœtus avant la naissance,
je suis dans son collage.