Yassine Essouaf

Yassine Essouaf

Le portrait onirique de Yassine Essouaf

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Paroles hypnopompiques. Lourdeur du réveil. L’état de conscience qui va dicter votre journée insensée. La confusion. Mémoires subtiles. Les Grecs pensaient que les rêves étaient le message des Dieux. Une femme qui allaite un serpent en mordant son téton ne pouvait être qu’un message de Zeus ou de Déméter. Dans le rêve, après plusieurs semaines de recherches sur moi-même, de reconditionnement et d’enrichissement créatif, j’arrive à Times Square, le carrefour du monde réel, les mains dans les poches, le corps amaigri. Quelqu’un me prend en photo, je lui dis : ce n’est pas moi, c’est mon état d’esprit, mon état d’inconscience. Tout est forcément étrange dans les rêves, monde inexploré où l’on ne se soucie pas de savoir si la Terre est plate, si les couleurs sont les meilleures ou si les formes les plus abstraites ont une valeur marchande. Le rêve, c’est du flow, être immergé en soi, sans fin. Sensoriel, visuel ou les deux. Chacun vit son expérience onirique comme il l’entend dans un monde cauchemardesque à bout de souffle. Pourquoi New York ? Pourquoi se poser la question ? Un carton d’invitation en main, je file dans des rues inconnues, j’avance, je ralentis, j’entraîne tous mes désirs, les plus absolus. L’exposition Avec tout mon amour et ma gratitude est celle de Yassine Essouaf, dans une ville que je découvre, un artiste dont je n’ai jamais entendu parler. La galerie est noire, les murs noirs, d’un noir profond, charbon, parfois d’un bleu noir, les tableaux sont colorés, harmonie de coups, de griffes, de dieux vieillissants, d’amour-amer. Le salaire de l’amour. Une femme s’avance vers moi et me dit : Patrick Lowie, nous vous attendions. Un cadeau vous attend. L’artiste a eu un empêchement mais il m’a donné comme mission de vous accompagner et de vous offrir un cadeau éternel. Je la remercie et au premier angle, je m’échappe. J'emprunte des escaliers étroits, je monte, les marches rétrécissent, les murs s’abaissent, le dos courbé, les nerfs à vif, la mâchoire déchire les voiles de mâts invisibles. J’arrive au onzième étage d’un paquebot ensablé, enfermé dans sa carcasse, qui surplombe une ville morte, où même les prieurs sont aphones. La scène est d’une grande beauté. Pleine de couleurs. J’entends un hibou chanter : l a nuit nuageuse, lunaire et rafraîchissante, avec des lumières claires. Je ne suis plus dans mon rêve. 

Vous êtes désormais dans mon rêve, Patrick Lowie. Mon nom est Yassine Essouaf, artiste peintre du Maroc. Il me serre la main et me regarde comme si nous nous connaissions depuis très longtemps. Je savais que vous alliez venir jusqu’ici. C’était évident. Le hibou s’envole. Des mots en forme de néons bleus et jaunes clignotent au-dessus de la tête de l’artiste. Il y a, dans son regard, une affirmation de soi, pas fou pour un sou, je sens qu’il dirige le rêve, manipule ma pensée, éloigne les chauve-souris. Je me souviens d’un courrier de Fernando Pessoa à Armando Côrtes-Rodrigues : j’ai progressivement élevé mes intentions et mes ambitions à la hauteur des qualités qui m’ont été données (...) voilà ce qui devient le lourd dessein de ma vie. Ainsi faire de l’art m’apparaît chose toujours importante et mission toujours plus terrible (...) Pendant des années, j’ai voyagé afin de recueillir des manières-de-sentir. À présent que j’ai tout vu et tout senti, j’ai le devoir de m’enfermer chez moi, dans mon esprit, et de travailler, autant que je peux et en tout ce qui m’est possible, au progrès de la civilisation et à l’amplification de la conscience de l’humanité. Je m’approche de lui et lui glisse à l’oreille : où sommes-nous ? quelle heure est-il ? Il rit aux éclats puis : il est 21h21 et nous sommes à comment dire ? Nous sommes dans mon ailleurs. Je vous ai fait venir jusqu’ici pour vous parler de mon rêve. Il me propose de m’asseoir et me sert un thé à la menthe. Voilà, je sais que vous êtes un expert des rêves et, au-delà de l’énigme, on m’a dit que vous réussissiez à guérir les gens en ne prononçant que quelques mots. Donc, mon rêve commence par une sensation étrange accompagnée de belles énergies dans un endroit ressemblant à l'intersection des murs de Aqbat al-Hajar à Meknès – de grands murs imposants. Il y avait une personne avec moi dont le visage se transformait en celui de toutes les personnes proches de moi ou que je respecte et que j’aime. Rapidement, l’endroit s'est transformé en un autre, semblable aux ruelles de la vieille ville de Tétouan. Il y avait deux filles magnifiques et très séduisantes. La personne avec moi m'a suggéré d'aller profiter de ces filles. C'était très sensuel, et nous avons commencé à avoir des relations sexuelles sauvages et collectives. Dans le rêve, c’était un acte libérateur. Puis, nous avons parlé. Une des filles m’a demandé si je connaissais bien un collègue de l'école primaire . J'ai répondu que oui. Elle m’a alors dit : Sais-tu ce qu’il a fait ? Il est apparu devant nous, mais à distance, et je l’ai vu traîner un corps qu’il enterrait. Nous l'observions, puis il a disparu, ce tombeau ou sépulture s'est transformé en une autoroute, et l'endroit était près de l’oued Ataba à Meknès. Je me suis retrouvé à marcher seul sur cette route, pensant à la catastrophe qu'il avait commise, et me demandant quelle pouvait être la raison qui l’avait poussé à faire cela. Avant la fin de la route, je me suis retrouvé à boire de l’eau dans une belle source, avec un grand figuier à côté d’une maison de type zawiya blanche. Ensuite, je suis entré et je me suis retrouvé dans notre ancienne maison. Il y avait une toile sur un chevalet, et ma mère m’a dit en riant : Est-elle bientôt finie ? J’ai répondu : Pas encore, peut-être dans un an. Elle doit être très belle pour que je puisse la vendre à un bon prix et bien m’occuper de toi. Elle a répondu Incha'Allah, puis elle est allée me préparer une tasse de café avec trois dattes. Soudain, je me suis réveillé. Pourriez-vous me donner le sens de tout cela ?

J’en avais marre de boire ce thé à la menthe, je lui demande s’il n’a pas quelque chose de plus corsé. J’allume une cigarette écrasée qui était restée depuis vingt-quatre ans au fond de la poche d’une veste que je ne mettais plus. Il me sert du vin rouge de Meknès qui me brûle les lèvres à cause de l’acidité du soleil. J’avais remarqué que Yassine Essouaf m’avait raconté tout cela avec la peur au cœur, la dette au ventre. Puis vint la force et la sérénité. Je lui explique que le cadavre n’est autre que les projets intimes de changer le monde. Lorsqu’on est jeune, on veut changer le monde, puis on essaye de se changer soi-même, puis on abandonne toute idée de changement, on l’enterre, comme un cadavre exquis. Les rêves éveillent parfois les cadavres. Nous ne sommes plus à New York, n’est-ce pas ? J’ai l’impression que cette fois, le réveil sera impossible. Mes paupières tremblent comme lors d’une projection d’un film 35mm sur une toile blanche jaunie par les espoirs éteints. Une femme me dit : vous êtes déprimé ? Un homme répond :  non, il est écrivain. Au onzième étage de ce paquebot qui ne prendra plus la mer, je vois du monde me submerger, des voix me harceler, des ombres m’effacer. Yassine, sachez une chose : tout ce dont vous rêvez se réalise, vous êtes capable de voir le passé, le présent (qui est le futur) et le futur (qui n’est qu’une perspective du présent), l’ego ne tend pas de piège, vous êtes à un autre niveau de lecture, de connaissance. Relaxez-vous, vous faites partie des élus de la culture magnétique : agir c’est se faire violence, vos rêves vous transportent dans des vies parallèles, vos œuvres transforment, guérissent, dévoilent des mystères qui restent à découvrir. Ne pensez pas que tout est dit, que tout a été dévoilé, que désormais nous ne sommes que dans la répétition, le copier/coller, votre rôle sera de dévoiler, dévoiler, dévoiler… vous êtes un magicien, votre famille a transmis toutes les recettes indispensables, vous allez devoir transmettre vous aussi, vous devrez passer par trois portes : la porte du corps qui doit vous révéler toutes les énergies de la peau, du coeur, du foie et du cerveau. C’est ce que dit votre rêve : le sexe sauvage et collectif. Ensuite, la porte du souhait. Développez votre ego, regardez votre image dans l’eau de la rivière, et faites un souhait pour vous et pour l’humanité. La troisième porte est la porte de l’exploration : explorez le monde, explorez la vie, explorez vos véritables désirs. Ces trois portes doivent être traversées avec la conscience que vous êtes le réceptacle d’une famille de guérisseurs depuis plusieurs siècles.

Il se lève, je me rends compte que nous sommes dans une soirée électro, tout le monde danse et boit. Il part et revient en me disant : voici le cadeau. Yassine Essouaf disparaît dans la foule. J’enlève le papier kraft, je découvre une peinture encadrée. Je me demande si c’est Morphée ou mon propre visage. Le magnifique tableau s’efface et s’intègre en moi. 


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Bio

Yassine Essouaf, artiste peintre né en 1997 à Meknès, au Maroc. J'ai obtenu mon baccalauréat en arts visuels en 2015, puis j'ai rejoint l'Institut National des Beaux-Arts de Tétouan, où j'ai interrompu mes études après la troisième année. Mes diverses explorations formelles et conceptuelles dans le domaine de l'art contemporain m'ont permis de développer mon travail personnel sous le thème de "Sensations absurdes face au miroir" en 2018. Cette approche initiale a marqué le début de ma pratique actuelle.

Mes sources d'inspiration proviennent d'expériences personnelles dans des situations de la vie réelle ou d'histoires tirées de la mythologie babylonienne, assyrienne et de l'antiquité égyptienne. Je puise également dans les sciences astrologiques et les mouvements de l'astrologie à travers les formes et les trajectoires des planètes et des étoiles.

Mon style graphique repose sur une expression chromatique, plongeant dans un répertoire oscillant entre figuratif et abstrait. À travers ma palette de couleurs, je cherche à transmettre la richesse et la diversité des émotions humaines. En variant et en manipulant des harmonies de couleurs chaudes ou froides, je m'efforce de révéler l'intériorité et la sensibilité de la nature humaine que j'aspire à exprimer à travers ma peinture.

Mon travail engage une approche sensible : d'une part, en appréhendant la forme comme concept, et d'autre part, en manipulant les signes comme symboles. Mon travail consiste en une tentative de percevoir l'intériorité et l'inconscient humain au-delà des apparences, puis de révéler les polysémies formelles et conceptuelles qui en découlent. J'aspire à appréhender le monde avec un regard libéré des préjugés, des préconceptions et des déterminismes, afin de renouer avec la spontanéité de l'enfance.

Précisions d’usage 
Ce portrait est un portrait onirique basé sur un rêve, et donc, ce n’est qu’un portrait onirique et imaginé. Par conséquent, l’histoire qu’il raconte n’est pas une histoire vraie. Erreurs de syntaxe, d'orthographe ou coquilles... faites-nous part de vos remarques à mapuetos@mapuetos.com

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