Hatim Oubella se défend. Il s’assied puis se relève et fait le tour de la table ovale. Il est seul et parle à lui-même ou dans le vide. D’abord calme et consciencieux, il se transforme soudainement en criant et en revendiquant. Mais que peut-on revendiquer dans un rêve ? Cela faisait longtemps que je n’avais plus rêvé. Je m’étais perdu entre les chemins qui mènent à l’Abbaye de Scourmont et la survie onirique, les traversées de bois insolites, à la recherche du calme dans un monde chaotique et particulièrement sur les nerfs. Hatim est un bel homme, ni armure ni cheval ni épée, la tête bien faite, perdu lui aussi dans les labyrinthes inutiles. Il se tourne vers une fenêtre imaginaire, les yeux fixés sur un horizon invisible. Ses mains tremblent légèrement, trahissant une tension intérieure grandissante. Hatim murmure des mots incompréhensibles, comme s'il cherchait à conjurer un sort ou à se rappeler une incantation oubliée. Soudain, il se fige. Son regard s'illumine d'une lueur étrange, mélange de peur et de détermination. Il commence à parler plus fort, sa voix résonnant dans la pièce vide : Je revendique le droit de rêver ! Le droit de créer des mondes où les arbres parlent et les rivières coulent à l'envers. Je revendique la liberté de me perdre dans les méandres de mon imagination, loin des contraintes du monde éveillé ! Sa voix monte encore, devenant presque un cri : Je revendique le droit d'être perdu, d'errer entre les dimensions, de franchir les frontières entre le réel et l'imaginaire ! Je me dis que ce manoir n'est qu'un point sur la carte de mes rêves. Je veux explorer les forêts de l'inconscient, plonger dans les océans de la mémoire collective, gravir les montagnes de l'impossible ! Oui, c’est ce que je me dis, doucement, à voix basse, les mots inaudibles entre deux silences incertains. Le regard de Hatim Oubella se perd dans le vague, comme s'il contemplait un paysage intérieur complexe et mystérieux. Dans ce rêve, je l'observe, fasciné par sa quête. Je me demande si mes propres errances entre réalité et songe ne m'ont pas conduit à ce moment précis, témoin silencieux de la lutte d'un homme contre les limites de sa propre conscience. Non, il n’est pas question de se réveiller. Pas question de remettre en question ce moment précieux. Je me demande s’il me conduira un jour à Mapuetos. Dans le rêve, il fait nuit et nous sommes dans un manoir où le silence et l’obscurité pourrait faire oublier la vie. Je le vois traverser les chambres à la recherche d'une sortie, mais il ne trouve que des portes qui mènent à d'autres pièces. Le manoir se transforme en labyrinthe, ses yeux commencent à s'habituer aux ténèbres et au peu de lumière que les rayons de la lune offrent à travers les fenêtres. De loin, il voit une personne. Il l'appelle, mais elle ne répond pas. Il se demande si elle ne l'entend pas. Il s'approche, il reconnaît la silhouette et comprend qu'elle ne veut plus répondre. Il choisit de la suivre à travers le labyrinthe, sans la déranger. Il sait qu'elle ne va jamais se retourner, qu'elle ne reviendra jamais, et dans le monde d'aujourd'hui, il est obligé de respecter sa décision - qu’en est-il dans le monde onirique ? - Il se dit que s’il avait vécu dans une autre époque, il aurait été l'élève d'Aristote, il aurait levé une armée et serait parti reconquérir ce qui fut sien un jour. Mais aujourd'hui, ce soir, dans ce manoir labyrinthique, il respecte les mœurs de son époque et reste discret derrière la silhouette qui jamais ne se retournera.
Hatim Oubella me voit enfin et je lui dis : si l'invraisemblable arrive, c'est donc que ce qui est invraisemblable est vraisemblable. 1 Il me reconnaît enfin : Patrick Lowie, vous ici ? Dans ces habits, avec ce magnifique surtout bleu-clair, ces chausses blanches… ce vêtement de dessous laque-foncé est très fin… magnifiquement tissé et votre bonnet laque-jaune vous va à merveille… que faites-vous ici ? Connaissez-vous la sortie de ce labyrinthe ? Je ne dis rien pendant quarante-cinq secondes, je fais craquer les premières vertèbres d’abord à droite puis à gauche et je ferme les yeux pendant quelques minutes, je fais le mort. Il ne réagit pas. Je me lève enfin et lui dis : Jacques disait que les vieux ne parlaient plus ou alors seulement parfois du bout des yeux. Suivi le chemin de sortie en observant mes yeux, mon regard vous indiquera le chemin.
Hatim Oubella fixe intensément mes yeux, cherchant à décoder le chemin de sortie dans mon regard. Lentement, nous commençons à nous déplacer dans le labyrinthe du manoir, guidés par un langage silencieux et mystérieux. Les murs semblent se déformer autour de nous, les portes apparaissent et disparaissent comme par magie. Au fur et à mesure que nous avançons, le décor change subtilement. Les couloirs s'élargissent, les plafonds s'élèvent, et une lumière diffuse commence à filtrer à travers des vitraux invisibles. Soudain, nous nous retrouvons dans une vaste salle circulaire, au centre de laquelle se dresse une fontaine d'eau cristalline. Hatim s'approche de la fontaine, fasciné. Il y plonge ses mains et, en les retirant, il réalise qu'elles sont couvertes d'une fine poussière d'étoiles. Il me regarde, stupéfait, et murmure :
Est-ce la sortie ou simplement une autre dimension du rêve ?
Je souris énigmatiquement et réponds :
Dans le monde des rêves, Hatim, la sortie n'est qu'un autre commencement. Chaque porte que nous franchissons nous mène plus profondément dans le mystère de notre propre conscience.
Alors que ces mots résonnent dans l'air, la salle commence à se dissoudre autour de nous, se transformant en un vaste champ de fleurs sous un ciel étoilé. Hatim Oubella et moi nous tenons côte à côte, contemplant l'infini qui s'étend devant nous, prêts à explorer les nouveaux mondes que nos rêves vont créer.
Regardez bien cet infini, il vous amènera à Mapuetos. Mapuetos n’est pas qu’un lieu onirique, il existe vraiment. Il n’existe peut-être plus. Il a sûrement existé. Je ne sais plus. Mais il est là, au bout de cet infini. Allez-y, vous êtes jeune, il n’y a plus rien qui vous empêchera d’y aller, plus de labyrinthes, plus de guerres imbéciles, … Mapuetos est au fond du couloir…
1
Aristote
Apparemment, une 'biographie' est un texte qui décrit la vie d'une personne, en mentionnant généralement des informations importantes telles que son parcours, ses réalisations, sa carrière, et d'autres aspects significatifs de sa vie. Dans mon cas, mon parcours n'a rien d'exceptionnel, je n'ai pas de réalisations particulières et je pense que ma carrière n'intéresse que moi. Je pense que pour savoir qui je suis, il vaut mieux que je vous parle des choses que j'aime et que je n'aime pas, puisque c'est ce qui fait ma personne.
Je commence donc par le plus important : j'aime manger. Je ne suis pas forcément un amateur de haute gastronomie, je préfère les plats simples mais savoureux. Un repas est toujours meilleur avec un bon vin, et pour que le vin soit bon, il faut être en bonne compagnie. J'aurais peut-être dû commencer par ça : j'aime être en bonne compagnie. Une bonne compagnie dépend de chacun; pour moi, c'est être entouré de personnes drôles et cultivées, assez humbles pour tolérer mon orgueil, des gens avec qui je peux parler de tout sans qu'ils soient blessés ou offusqués par nos différences.
J'aime être en bonne compagnie mais j'aime être seul aussi. La solitude m'est aussi chère qu'une bonne compagnie. J'aime me promener, lire et regarder des films seul. Je n'aime pas les gens qui parlent pendant le film, et j'ai horreur de ceux qui ne respectent pas le passage piéton. Je suis fasciné par le Moyen Âge et le futur me répugne. Entre une armure, un cheval et une épée ou une soucoupe volante, je prends le premier choix. Je n'aime pas les emails, ça me donne de l'anxiété. J'aime l'art et les gens qui aiment l'art. Je n'aime pas ceux qui ne voient pas que c'est indispensable à notre vie.
En somme, tout ce que j'aime et que je déteste est du fait de l'homme.
sc lowie ie - Yenaky
Chaussée d'Alsemberg 264
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