Quand on rêve avec sa sœur, pas de sa sœur mais bien
avec sa sœur, le subconscient tente d’échapper aux clichés,
il nous emmène forcément dans un monde onirique encore plus
mystérieux, pas forcément obscur mais plus dense. Certains
diront que c’est un présage de soutien et de réconfort,
d’autres encore - les plus pervers - y verront un rêve
incestueux, mais c'est un voyage onirique plein de pudeur
qui s'offre à moi dans le seul but de faire frémir des
cordes souvent trop tendues.
Dans le rêve donc, je me promène le long d’une rivière,
plutôt fier d’avoir acheté un livre très rare d’un auteur
méconnu du XVIème siècle. Je remarquai, de l’autre côté de
la rivière, la silhouette de Laetitia, ma sœur, se promener
au bras d’un très bel homme. Je ne sais plus si je me suis
caché derrière un cerisier ou si j’ai agité les bras pour
les saluer. Mon rêve n’est pas très clair sur ce point, par
contre, je me revois encore très bien dans l’eau après avoir
glissé bêtement sur le tapis de fleurs blanches qui
inondaient la berge. Tentant à tout prix de sauver le livre
rare. J’avais beau crier, personne ne m’entendait, une
chouette m'observait mais ne bougeait pas. Personne ne me
voyait, invisible, je me suis noyé, vraiment noyé mais très
vite je me suis retrouvé ailleurs, sec, joyeux, drôle,
joueur. Comme s'il fallait se noyer, toucher le fond, pour
rebondir, pour se transformer, pour s'améliorer. D'autres
éléments du rêve, comme cet homme à vélo que je voyais
disparaître au loin convaincu qu'il ne reviendra plus
jamais, cette lune aussi grosse que tous nos egos réunis et
qui éclate en milliards de gouttelettres
qui se
répandent dans la vallée pour que nous puissions atteindre
les sommets, cet enfant qui se sépare de son père pour mieux
se centrer sur lui et sur son avenir de beau Roi-soleil, et
ma sœur, belle et battante, toujours à cœur ouvert, fleur de
peau, décidée, elle aussi, à réhabiliter l'ancêtre Jacques
qui s'impatiente sans doute mais ça ne fait rien, on est
sur le bon chemin
, lui dis-je.
Dans le rêve, Laetitia me guide, puis je la guide, nous
partons dans des forêts puis des montagnes, des vallées,
puis des forêts encore, des forêts. Où
allons-nous ?,
l'instinct nous amenait au cœur
d'un monde encore vierge. Elle me dit : Patrick,
Jacques aussi a rêvé de Mapuetos, lui, il a trouvé
l'énigme. Lorsqu'il en est revenu, des soldats espagnols
l'ont arrêtés. Puis, il s'est tu à jamais, perdu dans une
mélancolie, prisonnier dans un monde qui n'était pas le
sien. Il va falloir que tu décides : tout arrêter ou
poursuivre. Tout ce que je peux te dire : prend garde
à toi. Mais maintenant, tu as tous les éléments pour
comprendre. Je ne te retiens pas, je ne te pousse pas. Il
est encore temps de revenir sur nos pas, regarde c'est
facile, nous pourrions aussi rentrer tout simplement et se
perdre dans une mélancolie, prisonniers dans un monde qui
n'est pas le nôtre. À partir de maintenant, c'est
l'instant où tout commence.
Je n'ai pas hésité une
seconde, je ne veux prendre garde à rien, je veux retrouver
mon œil en forme de fleur de lotus, cet instant est le mien,
le soleil reprend ses droits, tout renaît, la vitesse, rien
que la vitesse, tout s'accélère. La route est longue,
sinueuse et pleine de promesses non tenues.
Nous arrivons enfin au cœur de quelque chose qui ne
ressemble à rien. On entend des battements comme des
percussions abdominales, l'espace est immense, une salle des
fêtes glaciales, des murs en béton sans décoration, laide.
Je vois des corps assis dos au mur, ils ouvrent les yeux et
réinventent le monde avec de nouveaux mots. Il y a des
hommes et des femmes, nous attendons, c'est long, on pense
que l'attente est inutile mais elle est au contraire,
indispensable. Personne ne se lève, on comprend qu'on attend
d'autres personnes qui n'arrivent pas. Puis d'un coup, les
battements s'arrêtent une immense porte en fer s'ouvre et
des milliers de personnes entrent, tout le monde chante, les
offrandes dans les bras, fruits et tissus colorés, tout
change, le béton devient jaune, les ampoules rouges, le
plafond bleu.Les offrandes étaient pour elle et moi, il y
avait deux autres personnes que je ne reconnais pas tout de
suite. Véritable procession qui ne s'arrête plus, les
personnes sortent par une porte minuscule en-dessous d'un
tableau que je n'avais pas vu en entrant dans cet espace
magique. Où sommes-nous ?
, lui dis-je. Elle me
répond en gémissant presque : c'est toi qui dois le
savoir. C'est toi qui a le pouvoir des mots.
Je me
dis que c'est peut-être le moment de perdre les mots et de
lâcher prise. Le curseur a bougé. Ce n'est ni le passé
ni le présent. C'est le début de quelque chose. L'instant
présent. Nous sommes au cœur de l'instant présent.C'est le
moment de ne plus penser, de tout oublier, d'effacer le
reste, la vie ne commence pas à la naissance. La naissance
n'est qu'une étape du passé. Le processus va nous
transformer.
Je me retourne, les yeux de Laetitia sont devenus
des coquelicots,
la terre bouge, tremble et ronfle.
Laetitia Lowie est née à Bruxelles en 1982.
Dès l'âge de 6 ans, elle découvre la musique par
l'apprentissage du piano. Puis, elle entamera des cours
de solfège dans différentes académies à Bruxelles. Elle
devient éducatrice spécialisée. Partagée entre la
musique et l'éducation, elle décide de se former en
pédagogie afin de pouvoir transmettre ses connaissances
musicales auprès d'un public cible (enfants,
adolescents, adultes). Elle devient artiste-intervenante
et propose des cours d'éveil musical (3 ans / 5 ans) et
des cours de piano et de solfège. En 2015, Laetitia
Lowie créé « Dadadoum », un service qui propose des
ateliers d'éveil musical pour les tout-petits dans les
crèches, écoles, associations et festivals. Laetitia
Lowie est consultante en massage bébé, réflexologue
plantaire périnatale (formée par Aliénor Rocher),
masseuse des pieds au bol Kansu (formée par Lorenza
Bianchini).